Un lecteur zurichois est tombé sur le site internet de l’entreprise Finesco Sàrl, à Sursee (LU). Le directeur et copropriétaire Christian Imesch y fait la promotion de «polices du marché secondaire des Etats-Unis», également appelées «US Life Settlements». Les rendements se situeraient entre 8% et 26% par an. Notre lecteur a été intrigué et a commandé du matériel d’information.
Dans ses brochures, Finesco écrit: «Investissez, vous aussi, comme Warren Buffett et Bill Gates, dans le marché secondaire américain de l’assurance-vie.» De telles polices de ce marché secondaire seraient l’un des «secrets les mieux gardés de l’investissement». Elles résisteraient aux crises. De plus, poursuivent ces présentations, «les investissements dans les polices du marché secondaire américain aident les gens, car ils peuvent disposer immédiatement de liquidités».
L’argent de l’assurance, tout de suite
En quoi consistent ces placements? Conviennent-ils aux investisseurs privés? Les polices du marché secondaire sont basées sur la spéculation sur les polices d’assurance-vie de personnes dont l’espérance de vie est limitée. Cette forme de placement est apparue aux Etats-Unis dans les années 1990, lorsque des patients atteints du sida ont vendu leur assurance-vie pour acheter, avec le produit de la vente, les médicaments dont ils avaient un urgent besoin. Ces malades du sida ont été bien souvent remplacés depuis lors par des personnes atteintes de cancer, toujours aux Etats-Unis.
Les candidats à la vente d’une assurance-vie doivent préalablement se soumettre à un examen de santé. Puis un «Medical Underwriter» évalue l’espérance de vie sur la base de cet examen. L’assuré reçoit ensuite une offre de reprise pour sa police, d’un montant généralement inférieur à celui de la police. Les acheteurs de telles assurances sont généralement des entreprises spécialisées. Après acquisition de la police, celles-ci garantissent à l’assurance le paiement des primes jusqu’au décès du vendeur. Après le décès de l’assuré, le détenteur de la police reçoit la somme assurée. Plus l’assuré décède rapidement, plus la valeur de la police est élevée car il y a moins de primes à payer et la somme assurée est recouvrable rapidement. A l’inverse, si le patient survit, le montant des primes à payer est élevé et la somme assurée est payée après un long délai.
Brève espérance de vie, rendement élevé
Le directeur de Finesco a proposé à notre lecteur une police portant le numéro T-5708. Derrière ce chiffre se cache une femme de 49 ans dont le diagnostic principal est un cancer du sein. Selon une évaluation médicale de janvier 2024, elle avait encore 48 mois à vivre. Notre lecteur a reçu une description détaillée du cas de maladie de la part de Finesco. Le pronostic étant grave, les chances de guérison étaient faibles. Selon Christian Imesch, le patron de Finesco, son espérance de vie était même «plutôt plus brève que 48 mois»!
La femme atteinte d’un cancer avait souscrit fin 2018 une assurance-vie auprès de l’assureur Farmers New World Life Insurance Company pour un montant assuré de 500 000 dollars américains. La société Fidelity of Georgetown Inc., spécialisée dans les polices du marché secondaire américain, lui a versé 382 643,30 dollars pour cette police. La femme a donc touché 76,5% de son capital décès.
Finesco propose aux particuliers d’investir dans cette police. Elle écrit que l’on peut s’attendre à un rendement annuel de 8% du montant investi. Elle fait même miroiter un rendement total potentiel de 30,67%. L’acquéreur de la police T-5708 s’engage dans un investissement direct. Le partenaire contractuel est Fidelity of Georgetown, basée dans l’Etat du Maryland aux Etats-Unis, selon la brochure publicitaire de Finesco.
Pour investisseurs qualifiés
L’argent de la participation directe doit être versé sur un compte de la Bank of Utah et est dû en dollars américains. Aucune majoration du prix d’achat ni de frais de gestion ne sont facturés, précise Finesco dans sa promotion. Le compte de dépôt aux Etats-Unis rapporte en outre 0,5% d’intérêts par mois, soit quelque 6% d’intérêts par an.
Outre l’investissement direct, le patron de Finesco avait encore une autre offre pour notre lecteur: un investissement d’au moins 100 000 dollars américains dans le LIP Funding Bond II (compartiment 18, ISIN: CH1108675658). Cette credit linked note (CLN - une forme d’obligation), basée sur des polices du marché secondaire américain, garantit un intérêt de 6,1% par an et laisse miroiter même un rendement annuel jusqu’à 8%. La durée est de sept ans. Les frais de gestion s’élèvent à 1,25% par an.
La société FoG Services AG de Stansstad (NW), dont Christian Imesch est membre du conseil d’administration, est chargée de conseiller les investisseurs pour ce produit. Selon la fiche d’information, l’offre de participation à cet emprunt n’est valable que pour les investisseurs qualifiés (disposant notamment d’une fortune investissable de plus de deux millions de francs). Elle n’aurait donc pas convenu à un petit investisseur comme notre lecteur.
Risques élevés
Les deux placements comportent des risques pour les petits investisseurs. Dans le cas d’une participation directe, le for est aux Etats-Unis. Les coûts qu’entraînerait un litige juridique seraient donc élevés. L’investissement se fait en dollars américains: il y a donc un risque de change par rapport au franc suisse. Les rendements élevés dépendent de manière décisive de la fiabilité de l’évaluation médicale de l’espérance de vie des assurés. La fiabilité de tels diagnostics est surestimée. Un investissement individuel direct dans une seule police de ce type est un jeu de hasard. Enfin, le patron de Finesco, Christian Imesch, n’a pas répondu aux questions de notre rédaction.
Pour les investissements dans des obligations comme le LIP Bond, la règle est la suivante: plus le rendement est élevé, plus le risque que l’argent ne soit pas remboursé à l’échéance est important. Les investisseurs qualifiés fortunés peuvent éventuellement envisager une participation à un fonds engagé dans de telles polices d’assurance-vie. Les fonds sérieux détiennent au moins 300 polices de ce type. Mais les petits investisseurs ne devraient pas s’y engager car les risques sont beaucoup trop importants.
A cela s’ajoute, évidemment, la question morale: avec de tels placements, l’investisseur spécule sur des gains réalisés sur la mort prématurée de personnes bien réelles.
Christian Bütikofer / yg