La réforme de l’approvisionnement en électricité approuvée par le peuple en juin dernier doit «créer les conditions pour produire rapidement plus d’électricité (…) à partir de sources renouvelables», a expliqué le conseiller fédéral Ignazio Cassis en présentant le projet. Elle mise sur le développement d’«incitations à l’investissement», complète la brochure de vote.
Pourtant, une disposition contenue dans les textes votés est passée pratiquement inaperçue, y compris lors de la procédure de consultation de l’ordonnance d’application qui s’est terminée en mai: les tarifs de reprise de l’électricité produite par les propriétaires de maisons ou de petits immeubles équipés de panneaux solaires pourront être modifiés tous les trimestres au lieu de l’être une fois par année comme c’est le cas actuellement.
Cette disposition se trouve à l’article 15 alinéa 1 de la Loi sur l’énergie (LEne) réformée. Elle fait obligation aux compagnies d’électricité qui exploitent des lignes de transport de rétribuer l’énergie produite de manière renouvelable «selon le prix du marché moyen sur un trimestre au moment de l’injection». Cette disposition s’applique «s’ils ne parviennent pas à s’entendre» avec les producteurs, y compris les privés ayant disposé quelques panneaux solaires sur leur maison.
Tarifs selon la bourse
Concrètement, ce changement de régime permettrait aux entreprises électriques de fixer des tarifs de reprise de courant élevés lors des trimestres hivernaux, lorsque la production est faible et la demande forte. Il leur permettrait aussi de les faire baisser en été, lorsque la production est, au contraire, abondante et la demande réduite.
Les électriciens y gagneraient la possibilité de s’approvisionner en courant renouvelable à des prix moyens bien plus bas qu’aujourd’hui. A l’inverse, les propriétaires de panneaux solaires verraient leurs revenus fortement baisser, bouleversant leurs calculs de rentabilité et d’amortissements.
Comment ces tarifs vont-ils être calculés? L’article 15 de la Loi sur l’énergie dit qu’ils doivent correspondre «à un prix harmonisé au niveau suisse». Le projet d’ordonnance d’application (OEne) précise, à son article 12 alinéa 1, que le prix harmonisé «correspond au marché de référence». Ce marché est défini dans un autre texte, l’Ordonnance pour l’encouragement de la production d’électricité renouvelable (OEneR), à son article 15 alinéa 1: «la moyenne des prix qui sont fixés en un trimestre sur la bourse de l’électricité day-ahead pour le marché suisse». Cela signifie en clair que la base de calcul des prix est la moyenne des cours négociés en bourse au jour le jour.
Or, cette moyenne est bien plus basse que les tarifs fixés année après année par les électriciens avec l’approbation de l’Elcom (le gendarme de l’électricité), comme c’est le cas actuellement.
Prix planchers à Berne et Lucerne
Les entreprises électriques se félicitent de cette ouverture, car elles pourront réduire leurs coûts d’approvisionnement au détriment des petits producteurs: «Nous soutenons le passage de la tarification au prix de marché de référence», explique le porte-parole de l’Association des entreprises électriques (AES).
Les conséquences d’une facturation au trimestre basé sur les prix du marché sont déjà visibles dans les cantons de Berne, Jura et Lucerne. Les entreprises qui y distribuent le courant, BKW (Berne et Jura) et CKW (Lucerne), appliquent déjà des rémunérations calculées au trimestre. Ainsi les BKW ont rémunéré le kilowattheure photovoltaïque produit par une installation privée 6,18 centimes au premier trimestre avant de chuter de près de moitié à 3,6 centimes au deuxième trimestre. Chiffres comparables chez CKW, où le kilowattheure était rémunéré 6,197 centimes au premier trimestre avant de chuter à 3,507 centimes au deuxième (voir le graphique).
Les distributeurs romands qui appliquent des tarifs de rémunération annuels payent entre 12,3 centimes (Gruyère Energie) et 24 centimes (Viteos) le kilowattheure. C’est-à-dire entre près du double et… près de six fois plus.
Le projet d’ordonnance d’application de la loi fixe néanmoins des rémunérations minimales. Celle prévue pour les installations de moins de 30 kilowattheures (par exemple celle d’une maison individuelle) se monte à 4,6 centimes le kilowattheure. Autrement dit: BKW et CKW rémunèrent déjà, en moyenne, les petits producteurs à des tarifs proches du plancher prévu par un texte qui n’est pas encore en vigueur.
Le résultat de la consultation des projets d’ordonnances n’est pas encore rendu public. Le Conseil fédéral devrait se prononcer dès la rentrée. Il est donc possible que des modifications soient apportées au projet. Mais les années de stabilité des prix semblent bien terminées.
Yves Genier