Fixer le prix de vente d’un appartement en dessous de sa valeur réelle peut réserver de mauvaises surprises à un acheteur, lorsque «le cadeau» ne saute pas aux yeux des juges. Si les locataires contestent le loyer, c’est en effet le prix figurant sur l’acte de vente qui servira de base au calcul du rendement admissible. Une bailleresse genevoise l’a appris à ses dépens, et a dû accorder une réduction de loyer de 40% à ses locataires.
L’affaire présentait une particularité: l’appartement – un duplex qui appartenait initialement au père de la bailleresse – se trouvait dans une zone où, conformément à la loi genevoise, le prix de vente et les loyers des appartements étaient soumis à un contrôle étatique pour une durée définie.
Le père – architecte et promoteur – avait tenté de vendre ce bien à un couple en 2010. L’Office cantonal du logement avait alors fixé le prix de vente maximal à 1 307 000 fr. La transaction n’avait pas abouti. La même année, l’architecte a finalement cédé le duplex à sa fille pour un montant de 1 071 040 fr. Par la suite, il lui a aussi accordé plusieurs avantages financiers: il a notamment remboursé les deux hypothèques qu’elle avait contractées pour l’achat de l’appartement et a renoncé à percevoir le solde du prix de vente.
En 2020, à l’expiration d’une période de contrôle de dix ans, l’immeuble est entré dans le marché libre. Les locataires du duplex ont saisi cette occasion pour exiger une réduction de loyer, considérant que le rendement locatif était abusif. Leur calcul se basait sur le prix de vente de 1 071 040 fr. mentionné dans l’acte notarié. De son côté, la propriétaire soutenait que c’était la somme de 1 307 000 fr., fixée par l’Office cantonal du logement en 2010, qui devait servir de référence. Selon elle, le prix avantageux auquel elle avait acquis le logement résultait d’une donation mixte. Ce qui lui permettait, conformément aux règles établies par la jurisprudence, de rectifier le prix de vente en l’ajustant à sa valeur réelle.
Le Tribunal fédéral lui a donné tort. Les explications jugées «confuses» du père n’ont pas suffi à établir son intention claire et sans équivoque de favoriser sa fille au moment du transfert. Ce n’est qu’ultérieurement qu’il a pris en charge ses hypothèques et renoncé au solde du prix de vente. Par ailleurs, la différence entre le prix convenu et celui fixé par l’Office cantonal du logement était peu significative. Les juges n’ont dès lors retenu aucune raison de s’écarter du texte clair de l’acte de vente, qui précisait «mentionner l’intégralité du prix».
ATF 4A_111/2023 du 4 octobre 2024
Silvia Diaz