Lorsqu’un jeune adulte est en formation, il reste à la charge de ses parents. Ces derniers peuvent déduire ces charges dans leur déclaration d’impôt s’il a moins de 25 ans. Cette possibilité existe même si le jeune gagne de l’argent en dessous d’une certaine limite. Celle-ci est clairement fixée dans la plupart des cantons romands.
Mais pas dans le canton de Vaud, où le fisc dispose d’une large marge d’appréciation. Même la section vaudoise de l’association des fiduciaires n’en connaît pas les limites. Si le taxateur considère que le jeune en formation gagne trop, il peut refuser toute déduction à ses parents contribuables. La facture d’impôts de ces derniers s’en trouve alors fortement accrue.
A contrario, Genève a fixé une limite claire: un jeune en formation à la charge de ses parents peut gagner jusqu’à 15 557 fr. brut par an sans que ses parents en subissent les conséquences fiscales. Si ce revenu est supérieur mais ne dépasse pas 23 335 fr., les parents peuvent encore bénéficier de la moitié de la déduction. Ce dernier montant correspond plus ou moins au salaire d’un apprenti de 4e année dans la carrosserie. Dans les autres cantons, les limites sont comparables.
Elles sont au niveau de revenu permettant à un jeune d’être financièrement autonome. En dessous de cette somme, il est réputé ne pas être en mesure d’assurer pleinement ses besoins fondamentaux. En dessus, il est censé ne plus avoir besoin du soutien parental.
Nombreux paramètres
Dans le canton de Vaud, la seule indication figure en page 45 du «Guide de la déclaration d’impôts» version 2023. Elle stipule juste qu’un parent peut assumer les charges d’un jeune en formation uniquement s’il «assure l’entretien complet», sans autre précision.
Interrogée sur sa définition de cette limite, l’Administration cantonale des impôts répond, par son porte-parole: «Il y a un nombre important de paramètres (qui ne se limitent pas qu’au revenu) à prendre en considération pour chaque situation. Qui plus est, il existe de très nombreuses jurisprudences sur cette question et de nombreux commentaires de la doctrine, ce qui démontre qu’on ne peut fournir une réponse tranchée.»
L’administration juge donc au cas par cas. Mais sur quels paramètres exacts, quelles jurisprudences et quels commentaires de doctrine? Priée de préciser, l’administration a répondu: «Nous restons sur une dynamique au cas par cas, en analysant chaque situation.» Il n’y a donc pas de règle précise et transparente, ce qui ouvre la voie à l’arbitraire.
L’administration s’en défend: «Fixer une limite sans tenir compte des nombreux paramètres qu’englobe chaque situation serait justement arbitraire.» Pour elle, ce sont les règles qui créent l’arbitraire. Cette explication contredit un principe fondateur de l’Etat de droit: son fonctionnement doit être basé sur des règles publiques et transparentes.
Décision sur cinq pages
Le niveau de revenu n’est pas le seul critère de l’imposition des jeunes en formation où le fisc vaudois s’appuie sur une pratique floue. La même question se pose concernant la fortune: au-delà de quel patrimoine un jeune en formation n’est plus considéré par le fisc comme étant dépendant financièrement de ses parents? La limite est clairement établie dans la plupart des cantons romands. Ainsi, à Genève, la fortune nette maximale permettant les déductions se monte à 88 776 fr.
Mais dans le canton de Vaud, cette limite n’est pas spécifiée. Un ménage de cinq contribuables en a fait l’expérience en 2023: les trois enfants, en formation et âgés de moins de 25 ans, ont été inscrits sur la déclaration d’impôt des parents comme étant financièrement dépendants d’eux.
Or, les trois jeunes avaient hérité chacun de près de 200 000 fr. destinés, selon les vœux du testataire, à acquérir en commun un bien immobilier. Le fisc a néanmoins décidé de les considérer comme des personnes financièrement autonomes et a donc supprimé toute déduction pour personne à charge dans la déclaration des parents.
Sa décision, rendue le printemps dernier, occupe plus de cinq pages. Elle s’appuie sur nombre d’articles du Code civil, quatre jugements du Tribunal cantonal, cinq arrêts du Tribunal fédéral, un commentaire juridique de référence et les comparaisons avec les situations dans trois autres cantons. Une disposition claire dans la réglementation vaudoise aurait été plus simple.
Paolo Troilo, patron de la fiduciaire Texfid à Chavornay, qui a traité la situation des trois jeunes héritiers, témoigne: «Les décisions varient d’un arrondissement fiscal à un autre, et pratiquement d’un taxateur à l’autre.» En d’autres termes: de façon arbitraire, à la tête du client.
Yves Genier