Un lecteur de la région genevoise s’interroge sur son contrat d’assurance-vie. Conclu avec l’assureur Allianz en janvier 2012 pour une durée de 30 ans, il prévoit que son titulaire recevra 175 655 fr. au terme de son contrat. En contrepartie, le signataire s’engage à payer une prime annuelle équivalente au montant maximal pour un troisième pilier déductible des impôts.
Lors de la signature du contrat, cette prime se montait à 6681 fr. Elle a été ajustée à la hausse chaque fois que le plafond des cotisations au pilier 3a était relevé, pour atteindre 7054,80 fr. dès 2023.
Faisant ses calculs, notre lecteur découvre qu’il va payer plus de 210 000 fr. pendant la durée de son contrat, soit bien davantage que ce qu’il touchera à l’échéance de ce dernier.
Aussi sa question est-elle: pourquoi payer davantage que ce que l’on reçoit? Où est passé l’argent payé et qui ne lui sera pas restitué?
Plusieurs tranches
Le contrat passé avec Allianz est une prévoyance liée à primes périodiques. Il combine un compte de pilier 3a avec une assurance-vie. Le compte de pilier 3a est une épargne volontaire pour la retraite déductible de l’impôt sur le revenu jusqu’au montant maximal déterminé périodiquement par l’Administration fédérale des contributions.
Le contrat garantit à l’assuré un capital minimal qui lui est versé à l’échéance. Il prévoit aussi la constitution d’une épargne, laquelle est investie dans un véhicule d’investissement. La valeur de référence de ce dernier est un fonds de placement de la banque Pictet dont la stratégie est centrée sur les actions suisses, le fonds Pictet (CH) Swiss Equities – P (n° ISIN CH0002783923) servant de référence.
Le tout est rémunéré avec un taux technique de 1,75%. Cela signifie que chaque année, l’avoir du client s’accroît par le fait que l’assureur lui crédite cet intérêt. Les rendements qui dépassent le taux technique sont considérés comme des excédents et doivent par conséquent alimenter l’avoir de prévoyance liée.
Ces excédents sont alimentés non seulement par les rendements du capital de garantie supérieurs au taux technique, mais aussi par le rendement de l’avoir placé pour réaliser du rendement. Or, le fonds servant de référence affiche une performance annuelle moyenne de 7,22%. Cela signifie que chaque année en moyenne, le revenu des dividendes et les plus-values du fonds doivent contribuer à accroître l’avoir de l’assuré.
L’argent n’est pas là
Cet avoir, s’il était rémunéré intégralement, devrait donc promettre une somme bien supérieure aux 175 655 fr. promis. Pourquoi n’est-ce pas le cas?
Munie d’une procuration de son lecteur, notre rédaction a demandé des informations détaillées à Allianz. Une circulaire récente de la Finma (lire encadré ci-dessous) l’oblige de les donner si on les lui demande. L’assureur s’est en partie expliqué (voir graphique ci-dessus).
Ainsi, l’assuré a payé, en 13 ans, 86 457,80 fr. La valeur de rachat est légèrement inférieure, à 85 701,70 fr., soit légèrement moins. Cette valeur représente la somme que l’assuré toucherait s’il mettait un terme aujourd’hui à son contrat.
Pourquoi cette valeur de rachat est-elle moindre? Cela résulte de la ventilation des primes payées par notre assuré.
Ainsi sur la somme totale payée en 13 ans, 49 655,60 fr. ont été alloués au capital de garantie, c’est-à-dire la somme que l’assuré ou ses héritiers doivent toucher. Cela représente 57,4% de la prime totale. Cette somme a été rémunérée à 2,18% en moyenne annuelle, soit davantage que le taux technique de 1,75%. La différence doit alimenter les excédents.
La part dévolue à l’investissement dont la référence est le fonds de placement de la banque Pictet s’est élevée à 17 755 fr., soit 20,5% de la prime totale. Cette part a été rémunérée, en moyenne annuelle, 7,13%, une performance très légèrement inférieure à celle du fonds de placement de référence.
L’assuré a encore payé 5771,60 fr. de prime pour une assurance perte de gain. Celle-ci lui permet de conserver son assurance de pilier 3a s’il tombe en incapacité de gains. Cette prime APG représente 6,7% du total.
Chiffres non révélés
Restent 13 275 fr., ou 15,7% de la prime totale. Qu’ont-ils financé? L’assureur refuse de répondre: «Une divulgation détaillée des données pertinentes pour le marché, telles que les frais de conclusion et de gestion ou la structure des risques, n’est pas prévue par la loi et ne sera pas effectuée.»
Notre lecteur ne saura donc pas exactement quelle part de sa prime a financé les frais de l’assureur, qui sont compris dans ces 13 275 fr. Ces frais ont non seulement payé son fonctionnement, mais aussi alimenté son bénéfice.
Pour obtenir les informations qui précèdent, notre rédaction a adressé une série de questions à l’assureur le 29 octobre dernier. Ce n’est qu’au terme de l’échange d’une quinzaine de courriels et d’une visioconférence que l’essentiel des réponses a progressivement pu être obtenu, les ultimes précisions étant données le 27 novembre, plus d’un mois plus tard.
Pour résumer, ce n’est pas l’entier des primes qui a alimenté le capital de l’assuré, mais un peu plus des trois quarts (77,9% exactement). Le reste (22,1%) a financé les risques et les frais de l’assureur dans des proportions qui demeurent inconnues.
Quant à l’investissement le plus rémunérateur pour l’assuré, qui devait lui permettre de gonfler son avoir rapidement, il n’a été alimenté que par guère plus qu’un cinquième des primes. L’assuré a certes signé une police d’assurance lui permettant de gagner de l’argent en limitant les risques. Il en a objectivement perdu tandis que son assureur a bien gagné sa vie.
Yves Genier
La Finma exige de la transparence
Le gendarme des assurances et des banques s’était alarmé en 2020 que «les informations fournies lors de la souscription d’une assurance-vie présentaient souvent des lacunes». En réaction, il a précisé en juin dernier dans la «Circulaire 2024/2 Assurance sur la vie» entrée en vigueur le 1er septembre les informations minimales que les assureurs doivent donner à leurs clients sur demande de ces derniers:
- Les provisions mathématiques (viennent en déduction de l’avoir du client).
- Les frais d’acquisition non amortis (payés par le client).
- Le coût des risques d’intérêt (payés par le client).
- Le niveau des excédents, en particulier pour l’année en cours (qui reviennent au client).
- La part de primes non encore utilisée (payées par le client, mais qui ne lui reviendront peut-être pas).
Ces informations complètent celles que l’assureur doit impérativement donner: la valeur de rachat, l’avoir garanti à l’échéance.
Dès le 1er janvier 2025, ces informations doivent obligatoirement être données lors de la conclusion d’un nouveau contrat.