La responsabilité du skipper commence bien avant de prendre la mer. Justine Mettraux en sait quelque chose, elle qui régate pour la compétition à titre professionnel depuis 2011 et se prépare à l’édition 2024 de la reine des courses, le Vendée Globe. A la tête de la petite équipe chargée de préparer son voilier puis de l’assister lorsqu’elle sera seule à la barre, elle admet que «ça peut être tendu, parfois». Mais ces embarras ne sont qu’un prix modeste à payer pour la joie de «pouvoir vivre de notre sport et faire ce qui nous plaît».
La navigatrice genevoise de 36 ans est une étoile montante de la course au large. L’automne dernier, elle se classait septième de sa catégorie au terme de la Route du Rhum, l’une des compétitions les plus prisées de l’univers de la voile, qui relie tous les quatre ans Saint-Malo à la Guadeloupe. Elle a immédiatement enchaîné avec The Ocean Race, une course autour du monde par étapes et en équipages organisée tous les trois ans, qui a débuté en janvier à Alicante et s’achève ce début d’été à Gênes. Parallèlement, elle prépare, avec son équipe, à être une des rares femmes à tenter de ravir le trophée du tour du monde à la voile en solitaire et en une seule étape.
Le prix des assurances
Affronter la mer exige la maîtrise des chiffres. «Le budget annuel pour participer à un Vendée Globe, c’est 1,5 million de francs. Dont 500 000 fr. de masse salariale», calcule-t-elle. Sa petite équipe, basée à Lorient en Bretagne, compte huit personnes. «Les salaires ne sont pas très élevés pour la Suisse. Mais nous sommes basés en France et leur niveau y est tout à fait acceptable.»
Les dépenses en matériel sont les plus importantes: elles doivent couvrir un équipement répondant aux exigences d’une navigation de compétition de haute mer sans possibilité de réparations dans un port.
Le bateau, Teamwork, est un monocoque de la catégorie IMOCA (International Monohull Open Class Association), ces navires de l’extrême de 60 pieds (18,28 mètres) taillés pour la compétition. Prix à l’état neuf: 6 millions de francs. «Le mien a été acquis d’occasion. Construit en 2018, il a coûté 4 millions», précise la navigatrice. A ce prix d’achat s’ajoutent les primes d’assurances, environ 8% du montant de l’acquisition. Le risque est évidemment élevé dans le domaine de la régate au grand large. Autre facteur de renchérissement, le petit nombre d’assureurs spécialisés, qui réduit la concurrence et contribue à la hausse des primes.
A ces dépenses s’additionnent les coûts d’équipement, à commencer par le plus important: «Un jeu complet de sept voiles, appelées à durer deux à trois ans, c’est 250 000 fr.» Et le spinnaker, cette emblématique voile avant teinte de couleurs vives qui se gonfle lorsque le bateau navigue par vent arrière? «C’est la moins chère de toutes: 20 000 fr.»
«Familiales et amicales»
Le budget est assumé par le sponsoring de l’homme d’affaires Philippe Rey-Gorrez, patron de Teamwork, une entreprise genevoise spécialisée dans le conseil en informatique pour les entreprises. La collaboration a débuté en 2011, après que la navigatrice a été remarquée lors de quelques grandes régates lémaniques, dont une victoire au Bol d’Or en 2010 sur le D35 (un catamaran géant du Léman) de Dona Bertarelli. Elle se fait sur des bases «familiales et amicales». Mais Justine Mettraux a conscience de son privilège: «Le plus souvent, c’est le skipper qui entreprend les démarches pour trouver un sponsor.»
Toutefois, son actuelle participation à The Ocean Race est soutenue par un autre sponsor, 11th Hour Racing à Newport, sur la côte nord-est des Etats-Unis. Cette collaboration se termine néanmoins cet été, moment à partir duquel elle se consacrera à sa préparation du Vendée Globe.
La carrière de sportive de haut niveau n’est pas sans vulnérabilité. «Je n’ai guère cotisé pour la retraite, et ça m’inquiète», explique la trentenaire. La pandémie a été, en cela un révélateur: «Je n’ai pu bénéficier de pratiquement aucune aide alors que mes revenus chutaient en raison de l’annulation des compétitions. A cheval entre deux pays n’a pas simplifié ma situation», se remémore-t-elle. C’est donc sur la base de réserves personnelles qu’elle a pu franchir cette délicate étape.
Mais elle dispose d’une sécurité supplémentaire: «Enseignante au bénéfice d’une formation complète, je pourrais toujours revenir à mon métier de base si je ne peux pas continuer à faire de la voile de compétition.» Pour un marin pris dans la tempête, un havre, c’est l’assurance de s’en sortir. A condition de ne pas devoir rester à quai trop longtemps.
Yves Genier