Les jetons non fongibles (ou non-fongible tokens, NFT) peuvent être de fabuleux outils de placement: ils permettent à l’investisseur d’acquérir un bien, ou une partie de bien (généralement une œuvre d’art) sans la déplacer physiquement chez lui. Le titre de propriété, le NFT, est négociable sur la blockchain et payable en cryptomonnaie. Ce type d’investissement exige naturellement de la maîtrise de la finance digitale. Mais ses règles ne sont pas fondamentalement différentes de l’investissement classique en termes de risque, de possibilités de gain et de besoins de garantie.
C’est dans l’idée d’«ubériser le marché de l’art» que le marchand Nuwart, basé à Paris mais connu en Suisse romande, a proposé fin mars à Genève aux investisseurs intéressés d’acquérir des fractions de tableaux de maîtres convertis en NFT.
Son mécanisme est le suivant: le tableau est la propriété d’une société à but spécial (special purpose vehicle, SPV) de droit de l’Etat américain du Delaware. Ce SPV est titrisé sous la forme d’un NFT. Pour pouvoir être vendu à plusieurs investisseurs, ce NFT prend la forme d’une «organisation autonome décentralisée» («decentralized autonomous organization», DAO), une forme juridique reconnue par l’Etat américain du Wyoming. La valeur est libellée en tether (USDT), une cryptomonnaie qui réplique exactement le dollar américain (stablecoin) depuis 2014.
Le tout peut être vendu à des investisseurs européens sans obstacle, faute de cadre juridique applicable. Le Règlement européen sur les crypto-actifs (MiCA) doit combler ce vide, mais il n’entrera en vigueur que l’an prochain. En attendant, aucune protection n’est à attendre au niveau de l’UE. En Suisse, le cadre n’est pas précisément régulé. Mais la Finma, sur son site internet, estime que la vente de tels jetons doit être autorisée au préalable au nom de la protection des investisseurs.
Une caractéristique du NFT réside dans la quasi-impossibilité pour le fisc de le détecter (lire encadré «Le fisc reste aveugle»). Certains investisseurs pourraient être par conséquent tentés d’omettre de l’inscrire sur leur déclaration d’impôts.
S’il investit dans ces NFT, l’investisseur s’aventure dans un domaine aux nombreuses inconnues juridiques, dont les instances d’arbitrage en cas de conflit ne se trouvent pas en Suisse, mais à Wilmington et à Cheyenne.
Yves Genier