Un lecteur thurgovien a laissé 400 000 fr. à ses héritiers à la suite de son décès en 2022. Sans enfants, c’est donc son épouse et sa sœur qui ont recueilli sa fortune. Celle-ci a été répartie selon le Code civil, faute de testament ou de pacte successoral.
La veuve a donc recueilli les trois-quarts de la somme, 300 000 fr. et la sœur le quart restant, 100 000 fr. Les héritiers conjoints étant exonérés de l’impôt sur les successions, la veuve n’a donc rien eu à payer. Mais la sœur, qui réside aussi en Thurgovie, l’a été. Sa facture d’impôt s’est montée à 6000 fr.
Or, la sœur, s’estimant suffisamment aisée, a décidé de laisser sa part (après impôt) à sa belle-sœur, la veuve du défunt. Cette transmission est permise par le droit successoral, lequel dispose que les héritiers peuvent se répartir la succession d’une manière différente de celle prévue par la loi ou par le défunt dans un testament.
Renoncer n’est pas donner
Une telle décision peut avoir des incidences fiscales: certaines administrations la considèrent comme une donation entre les héritiers et l’imposent comme telle. Ce régime varie d’un canton à l’autre, note Marc’Antonio Iten, un spécialiste zurichois en droit fiscal et successoral qui a étudié la question pour la revue spécialisée des fiduciaires TREX - Der Treuhandexperte.
Selon le droit civil, une renonciation à un droit n’est pas une donation. Mais les lois et les administrations fiscales disposent d’une marge de manœuvre pour leurs pratiques et ne sont pas obligées de s’en tenir aux dispositions légales en matière de droit successoral ou contractuel.
Double imposition
C’est le canton dans lequel réside la personne qui renonce qui est compétent pour l’imposition. En l’occurrence, pour notre héritière, c’est la Thurgovie. Sa loi ne prévoit pas de règles pour l’imposition d’une renonciation à une succession en faveur d’un tiers. Pourtant, il a imposé quelque 12 000 fr. la donation entre belles-sœurs, que la veuve du défunt a dû payer en tant que bénéficiaire de la donation.
Aussi, selon ce schéma, l’héritage a été imposé deux fois: sur la succession d’abord, puis sur la donation. Le fisc thurgovien a encaissé 18 000 fr.
Lorsque l’héritage comprend un bien immobilier, ce dernier est souvent transmis à la valeur fiscale. Or, certains cantons imposent le transfert à la valeur vénale, laquelle est généralement plus élevée, parfois dans une marge importante.
En conclusion, chaque canton détermine si de telles donations entre héritiers sont soumises à l’impôt et selon quels critères et barèmes d’imposition. Le type de renonciation peut jouer un rôle déterminant:
- Renonciation à la succession: Presque tous les cantons prélèvent l’impôt sur les donations lorsqu’un héritier renonce à sa part d’héritage en faveur d’un cohéritier.
- Répudiation de la succession: Tout héritier peut répudier la succession dans un délai de trois mois sans conséquences fiscales. S’il renonce après ce délai en faveur de ses cohéritiers, cela est considéré dans la plupart des cantons comme une donation croisée imposable.
- Legs: Le bénéficiaire n’est pas pris en compte lors du partage de la succession. Une renonciation ne constitue donc pas une donation croisée dans de nombreux cantons. Il n’y a donc pas d’imposition.
- Biens immobiliers: La majorité des cantons n’impose pas la différence entre la valeur fiscale et la valeur vénale lorsqu’un bien immobilier est transmis par héritage.
- Droits sur les biens: Si un conjoint survivant renonce à sa part d’héritage en faveur de ses cohéritiers, la plupart des cantons considèrent ce geste comme une donation croisée et l’imposent en tant que telle.
- Usufruit / droit d’habitation: Les deux droits sont considérés comme des biens. Y renoncer constitue une donation croisée imposable dans la plupart des cantons.
Les donations croisées imposables sont rares. La plupart des cantons en comptent moins de dix cas par an.
Michael Krampf / yg
Conseil
Les impôts frappant les donations croisées ne figurent dans aucune loi fiscale et aucune affaire de ce genre n’a été tranchée par le Tribunal fédéral. Aussi, en cas de contestation, les héritiers peuvent recourir aux tribunaux et ont de bonnes chances de l’emporter.