Raiffeisen a vendu en mai dernier aux investisseurs suisses un nouveau titre de dette dont la valeur peut être réduite à zéro d’un trait de plume de la Finma. Ce titre est une obligation AT1 (Additional Tier 1), identique à celles qui ont été intégralement amorties sur ordre du gendarme financier suisse lors du sauvetage in extremis de Credit Suisse le 19 mars dernier. Cette décision avait fait perdre l’entier de leur avoir à leurs détenteurs. Elle avait aussi jeté le doute dans le monde entier sur la fiabilité de cet instrument de placement.
Raiffeisen a émis son obligation AT1 (ISIN CH1251998212) dans le cadre d’un emprunt de 100 millions de francs destiné à compléter ses fonds propres. Elle a été proposée aux investisseurs du 12 au 30 mai de manière publique mais sans faire de promotion. Chaque obligation a été proposée à 5000 fr., la rendant accessible à de larges cercles d’investisseurs. Son coupon est de 4%: chaque année, la banque paie 200 fr. d’intérêt aux détenteurs de ces titres.
Depuis le 30 mai, cette obligation est cotée à la bourse SIX. Son prix de marché se situe actuellement entre 100,1% et 100,2% de son prix d’émission (soit entre 5005 et 5010 fr.), ce qui fait que son rendement est actuellement de 3,99%, un niveau bien supérieur à l’inflation. Elle est «perpétuelle», ce qui signifie que Raiffeisen ne la remboursera pas mais paiera le coupon sans limite de temps. Enfin, elle n’est pas soumise à l’impôt anticipé.
Sans avertissement
Mais ces attraits ne masquent pas le risque que cet emprunt voie sa valeur réduite à néant par une décision de l’autorité et sans préavis. Le prospectus d’émission – le document décrivant toutes les facettes du titre et qui a valeur légale – indique clairement que «la survenance d’un élément décrit ci-dessous conduira à l’amortissement intégral de l’obligation».
Deux «événements» sont cités: le premier est l’obtention d’une «assistance des pouvoirs publics» (la Confédération, un canton ou la Banque nationale suisse sont explicitement désignés), assistance sans laquelle Raiffeisen deviendrait insolvable. Le second est que «la Finma constate que les conditions pour un amortissement intégral de la valeur sont réunies et qu’elle ordonne un tel amortissement». Ces avertissements clairement indiqués ne le sont qu’en page 24 du prospectus d’émission, lequel n’a été publié qu’en allemand.
Plusieurs précédents
En clair, si Raiffeisen est menacé d’insolvabilité, la Finma peut décider seule et sans avertissement préalable que les détenteurs des obligations AT1 perdent l’intégralité de leur investissement.
Raiffeisen avait procédé à plusieurs émissions lorsque les obligations AT1 ne paraissaient pas risquées, c’est-à-dire avant la fin de Credit Suisse: une de 400 millions en 2018, une de 525 millions de francs en 2020 et une de 300 millions de francs en 2021. C’est celle de 2018 qui a été remboursée début mai dernier. Les deux autres sont toujours négociables en bourse.
Interrogé sur la raison d’émettre de nouvelles obligations AT1 moins de deux mois après l’amortissement intégral de celles de Credit Suisse, le service de Presse de Raiffeisen répond: «Après avoir consulté le marché, Raiffeisen a décidé de remplacer l’obligation AT1 remboursée par anticipation pour un montant de 400 millions de francs mais avec un volume plus faible.»
Quant à savoir à qui la banque s’est adressée pour écouler cet emprunt, elle répond: «Avant tout aux clientes et clients qui avaient déjà investi dans l’emprunt AT1 précédent et dont le profil d’investisseur et la situation patrimoniale permettaient d’investir dans le nouvel emprunt AT1.»
Avant la fin de Credit Suisse, de très nombreuses banques en Suisse et à l’étranger émettaient des AT1 pour compléter leurs fonds propres. Depuis mars dernier, plusieurs banques ont émis de nouvelles émissions AT1, dont le géant espagnol BBVA. Mais la valeur négociée en bourse de ces titres est actuellement inférieure aux prix affichés avant l’amortissement des titres de Credit Suisse, signe que la confiance des investisseurs reste entamée. Ainsi, l’ETF Invesco AT1 Capital Bond UCITS ETF en francs suisses (ISIN: IE00BLM1CB28) se traite encore 10% en dessous de ce qu’il était début mars dernier.