Une habitante de Cressier (NE) pensait avoir eu un coup de chance dans son malheur. A la fin de l’hiver dernier, le chauffage de sa maison, qui avait été gravement endommagé par des intempéries, tombe définitivement en panne. Une réparation engendrerait des coûts disproportionnés.
Une telle réparation lui semblait d’autant moins nécessaire qu’elle avait signé à l’été 2021 un contrat avec Groupe E pour se raccorder au réseau de chauffage à distance commun aux communes de Cressier et de Cornaux, le réseau Entre-deux-Lacs. Les travaux devaient être achevés en septembre 2023, assurant à notre lectrice une installation flambant neuve pour l’hiver suivant. En février, la commune lui avait accordé le permis de construire. Le démarrage des travaux était donc imminent.
Groupe E avait en effet été mandaté par le réseau de chauffage à distance pour étendre à la rue de notre lectrice le réseau durant l’été 2023 en profitant des travaux de fouille prévus par la commune pour assurer la mise en séparatif des eaux usées. En somme, une pierre, deux coups.
Pas de nouvelles
Or, en juin dernier, toujours pas de machines de chantier en manœuvre dans sa rue. Groupe E ne donne pas de nouvelles. La commune de Cressier non plus. Inquiète à la perspective de se retrouver au froid lorsque les frimas reviendront, elle écrit fin juin à la commune pour comprendre les raisons du retard.
Dans sa réponse envoyée début juillet, la commune de Cressier lui explique que les travaux ne seront pas exécutés en 2023 comme prévu. La cause est le refus par le Conseil général (le législatif) d’autoriser le financement de la mise en séparatif des eaux usées dans sa rue. Le vote a eu lieu lors de la séance du 30 mars, près de trois mois plus tôt, et s’est fait à la majorité d’une seule voix: celle, prépondérante, de la présidente. Or, si ces travaux de fouille ne sont pas engagés, la pose des tuyaux du chauffage à distance ne peut pas avoir lieu.
Notre lectrice se tourne dès lors vers Groupe E. La société, en mains publiques (essentiellement le canton de Fribourg), lui répond fin juillet par son «souhait de l’informer du retard de déploiement de l’installation prévue» – comme si le courrier n’était pas envoyé en réponse à une question sur les causes mêmes de ce retard – et indique qu’elle «prendra contact avec vous dans le courant du printemps 2024». Entre-temps, elle «conseille de prendre les dispositions nécessaires pour votre installation de chauffage jusqu’à ce que vous puissiez être raccordée».
Notre lectrice, qui n’avait précisément plus d’installation de chauffage fonctionnelle en prévision de l’installation du chauffage à distance se trouve, ainsi, abandonnée à son sort par l’entreprise qui s’était engagée contractuellement à lui en fournir une avant le retour de l’hiver.
Lente planification
Tant la commune que Groupe E reconnaissent leur lenteur à informer les personnes directement intéressées. La première admet, par son secrétaire général, qu’elle ne s’est pas pressée pour agir, et renvoie au Groupe E pour le reste.
Ce dernier affirme avoir «décidé de communiquer au plus vite», avant de nuancer: «l’entreprise a dû tout d’abord effectuer une analyse en profondeur de l’impact de la décision du Conseil général avant de pouvoir établir un planning d’extension.» Manifestement toutefois, son information n’a été envoyée qu’après que notre lectrice se soit manifestée, et avant que son planning d’extension ait été finalisé.
Notre lectrice, enfin, reconnaît qu’elle aurait pu se renseigner plus tôt des décisions du Conseil général. A sa décharge, il n’est pas forcément évident pour un simple citoyen de faire immédiatement le lien entre le refus d’un budget de programme communal d’assainissement des eaux et le report de la pose d’un chauffage à distance. Cela d’autant plus que la commune signalait l’été dernier sur son site internet des fermetures partielles d’autres rues en raison même de la pose de ces infrastructures.
Six mois d’attente
La recherche d’une solution est encore plus compliquée. Après avoir relancé Groupe E en août, notre lectrice reçoit, à la fin du mois, une proposition de Groupe E de chauffage provisoire: louer une chaufferie pour 90 jours pour un montant qui la surprend: 3200 fr. Elle rétorque: «Depuis quand l’hiver, chez nous, dure-t-il 90 jours?» Et de calculer que la location lui coûterait aussi cher que le chauffage à distance.
Ce n’est que le 6 octobre, un bon mois plus tard, alors que la saison froide se rapproche, que Groupe E lui répond en lui demandant «encore quelques jours de patience» afin de «fournir un planning de raccordement». A ce moment, cela fait plus de six mois que le refus de la commune d’engager les travaux de fouille est connu.
Entre-temps, notre lectrice s’est tournée vers une autre société qui lui a offert la location d’un chauffage provisoire pour 4050 fr. pour 9 mois. A la mi-octobre, Groupe E lui confirme, finalement, qu’il prend cette facture en charge.
Interrogé par notre rédaction, Groupe E indique avoir «analysé la situation afin de trouver une solution», mais qu’«un manque temporaire de ressources, notamment durant la période des vacances, a perturbé le suivi de la demande et apporté une certaine confusion dans les échanges avec la cliente». Puis enfin: «Groupe E a proposé la mise à disposition d’une chaufferie mobile jusqu’à l’arrivée du chauffage à distance.»
Yves Genier
Ce que dit le droit
Si un législatif communal prend une décision, dans le cadre de ses attributions, qui entraîne des retards et des surcoûts à des travaux déjà planifiés par des privés, il ne peut pas être poursuivi en justice. A moins d’éventuels engagements particuliers préalables de la part de l’exécutif communal, il n’est pas possible d’obtenir une compensation, explique l’avocat Cyrille Bugnon à Lausanne, spécialisé dans le droit de la construction.
Quant aux privés, leurs prétentions dépendent de la teneur du contrat passé entre eux. Si les travaux nécessitent une autorisation, l’engagement contractuel est en général conditionné à la délivrance du permis, et sera donc en principe caduc si le permis est refusé. Toutefois, l’entreprise doit planifier son intervention, et donc supporter les conséquences d’un problème de coordination avec d’autres travaux parallèles. Dans ce cas, l’entreprise doit être tenue de compenser le maître de l’ouvrage en relation avec des retards ou des surcoûts, sauf disposition explicitement contraire du contrat.
Conseils
Lorsque des travaux dans un immeuble vous appartenant, ou à votre domicile, sont liés à des travaux publics, assurez-vous que le pouvoir public concerné (commune, mais aussi canton et Confédération) a donné son plein accord aux travaux.
Si une décision est attendue, restez attentif: demandez à l’administration concernée le calendrier des décisions à prendre. Si la décision doit être prise par un organe législatif communal, consultez les documents publics à disposition, à commencer par: les préavis de travaux, les calendriers des séances du législatif, les ordres du jour et les procès-verbaux des décisions prises.
Au besoin, appelez directement l’administration concernée.