Retraité, Frédéric aime acheter et vendre des titres boursiers pour lui-même. Il y trouve une source additionnelle de revenu. Âgé de 73 ans, il fréquente aussi des sites de rencontre où il se présente comme un courtier en valeurs mobilières.
Sur l’une d’entre elles, Seeking.com, il fait la rencontre de Victoria.
Leurs échanges s’intensifient sur WhatsApp et abordent toutes sortes de sujets plus ou moins intimes. Frédéric ne lui cache pas sa passion pour le négoce en ligne.
Un jour, Victoria lui explique que sa belle-sœur Anna travaille dans le trading à Amsterdam, après avoir suivi une formation d’analyste à Londres et qu’elle l’aidait à réussir ses transactions, et les met en relation. Par Skype, Anna lui explique qu’elle négocie des «contracts-for-difference» (CFD, voir la chronique Jargon en page 27) sur la plateforme BinoTrader.
Ce type de négoce, qui joue sur les cours des devises, est très spéculatif. Mais Frédéric se laisse tenter. Or, l’ouverture d’un compte chez BinoTrader n’est possible qu’en passant par une plateforme de cryptomonnaie. Frédéric opte pour Coinbase, l’une des mieux établies. Il y vire 1000 euros avant de les transférer sur son nouveau compte chez BinoTrader, qui lui décompte immédiatement 50 euros de frais.
«Jamais vu un compte aussi petit!»
Puis il entre en contact avec celui qu’Anna lui a présenté comme son «mentor», David, installé à Trinidad. Lors du premier contact, par Skype, ce dernier dit avoir accès à des informations particulières et qu’il est prêt à conseiller Frédéric. Et de s’exclamer: «Quoi? 950 euros seulement? Je n’ai jamais vu un compte aussi petit!»
Néanmoins, il lui montre une première transaction avec 600 des 950 euros du compte. «So let’s do it, we’ll skype again tomorrow», conclut-il avant de prendre congé avec un «Bye, Captain!». La transaction s’est avérée bénéficiaire, tout comme celles que David lui recommande les jours suivants.
Frédéric finit toutefois par trouver étrange une telle série de succès. Il vérifie les détails et constate, pour deux transactions au moins, que les cours décomptés sont nettement en dehors des cours publiés par Swisquote et Investing.com. Le prix de vente était faux, et donc aussi le bénéfice que lui a décompté BinoTrader. C’est alors qu’il se rend compte qu’il a été amadoué «pendant des mois» par Victoria sur le site de rencontres afin de l’amener sur BinoTrader.
Nombreux signaux d’alarme
Pourtant, les signaux alertant du caractère peu fiable de la plateforme de négoce ne manquent pas. Le site indique une adresse postale à Graz en Autriche. Or, le gendarme financier autrichien (FMA), ne la connaît pas. Celle-ci se dit placée sous la surveillance de plusieurs gendarmes financiers: Australie, Île Maurice, Malte, Belize… autant de territoires lointains et, pour les trois derniers, régulant des places financières offshore notoires. Impossible, non plus, de savoir qui se cache derrière BinoTrader: le site web a été enregistré de manière anonyme.
En conséquence, Frédéric finit par chercher à retirer son avoir. Il récupère 300 euros sans problèmes, mais les 913 restants lui sont refusés par BinoTrader, sous prétexte qu’il a encore des transactions à effectuer et que la plateforme veut des «garanties financières». Depuis qu’il lui a répondu ne plus avoir de transactions en cours, aucune réaction.
Frédéric a donc perdu sa mise initiale. Il écrit à Victoria: «Tu as parfaitement joué ton rôle. Mais tu as sans doute touché moins de profit que prévu.» Depuis lors, ce contact aussi est rompu.
Christian Bütikofer / yg
Un piège aux ressorts émotionnels
L’«escroquerie au négoce Tinder», ou «Tinder-trading scam», est un système qui piège des personnes rencontrées sur des sites de rencontre comme Seeking.com ou Tinder dans le but de leur soutirer de l’argent. Les auteurs créent un lien émotionnel avec leurs victimes et les incitent à agir sur des sites de négoce frauduleux comme BinoTrader.
Une fois qu’ils ont gagné suffisamment d’argent, ils rompent le contact. Cette arnaque est connue en Chine sous le nom de «Sha Zhu Pan», qui décrit le processus d’engraissement d’un cochon avant son abattage.
La perfidie de cette arnaque n’est pas seulement le préjudice financier, mais aussi le fait que les victimes se sentent aussi trahies sur le plan émotionnel. Ce type d’escroquerie est connu de la police.