«Vus avez vraiment besoin de cet emploi!», m’écrit «Sanya» sur ma messagerie Telegram en août dernier. Depuis quelques jours, nous échangeons des messages concernant mon éventuelle embauche comme «optimiseur» d’applications. Un emploi à temps partiel qui peut être réalisé à domicile sur mon téléphone ou mon ordinateur.
Comment ne pas se laisser tenter par une telle offre et une si touchante attention? Discrète, flatteuse, elle augure à quiconque la possibilité de travailler non pas seulement à la maison, mais discrètement au bureau pendant les moments creux, sans que personne n’y voie rien. Or, ce type d’offre est souvent une tromperie faite par des escrocs. «Le principal risque dans cette situation est la possibilité d’une importante perte financière pour les victimes», explique le Centre national de cybersécurité, à qui cette démarche a été exposée dans le détail (voir encadré).
Payé en cryptomonnaie
«Sanya» se présente comme «chef de projet de MMGY», une entreprise de marketing en ligne. Elle dit recruter des gens intéressés à passer une ou deux heures par jour pour cliquer sur des applications pour en améliorer le score. Rémunération: 100 à 300 Theter, une cryptomonnaie dont la valeur est alignée sur celle du dollar américain.
A ce stade de la discussion, plusieurs signaux d’alerte sont déjà déclenchés. D’abord, pourquoi recourir à Telegram, une messagerie cryptée, pour recruter du personnel? Pourquoi, aussi, annoncer une rémunération dans une cryptomonnaie plutôt qu’en francs? Mes doutes sont alimentés par le fait que je reçois simultanément d’autres propositions similaires sur ce canal et d’autres messageries, et que plusieurs proches en ont également reçues. Je décide de poursuivre l’expérience et demande des précisions.
«Sanya», en «recruteur» attentif, prend la peine d’expliquer que le job consiste à «commenter autant que possible les données que nous vous livrerons» afin d’«améliorer le classement des sites et les faire paraître plus populaires». Puis elle détaille le mécanisme de rémunération: «salaire de base et commission, ce qui signifie que plus vous travaillez plus vous gagnez, mais ce n’est pas un salaire fixe.»
Cela n’est pas très clair? «Sanya» livre un exemple: «si vous travaillez cinq jours consécutifs, vous recevrez 1000 theters en plus de la commission.» Et promet même, sans que vous l’ayez demandé, un gain supplémentaire: «lorsque vous aurez terminé votre formation, vous recevrez une commission de formation de 7000-15 000 yens.»
Je suis de plus en plus égaré: dans quelle monnaie est-on payé? La société est-elle basée au Japon? Non, me répond «Sanya»: «MMGY est basé en divers lieux au Canada.» De plus en plus étrange, ce recrutement!
Vraie entreprise, faux site
Vérification faite, MMGY existe réellement. Mais cette société de marketing réalisant plusieurs dizaines de millions de dollars de chiffre d’affaires n’est pas basée «en divers lieux du Canada» mais dans la banlieue de Kansas City aux Etats-Unis. Je la contacte directement pour lui demander si elle recrute vraiment des «optimiseurs» par Telegram. Sa réponse est nette: «il s’agit d’une opération de phishing. Il vous faut terminer toute communication avec cette personne!»
De son côté, «Sanya», qui n’est pas encore informée de ma petite enquête, m’invite à m’inscrire sur un site internet dont elle me donne l’adresse: il porte bien le nom de MMGY. Mais au lieu d’afficher le nom de domaine en .com, il se termine en .cc, celui d’un archipel de l’océan indien rattaché à l’Australie peuplé de moins de 600 habitants. Face à l’expression de mon scepticisme suscité par cette différence de nom et cette curieuse adresse, sa réponse fuse: c’est «le lien pour enregistrer les employés».
Et lorsque je confronte mon «recruteur» au démenti de MMGY, ce dernier insiste: «En fait, vous posez plein de questions mais ne voulez pas ce travail.» Et face aux avertissements du Centre national de cybersécurité, il renvoie, cette fois, à la vraie adresse de la société en ajoutant: «notre société est légale.»
A ce stade, j’arrête la discussion. Mais «Sanya» n’abandonne pas et me relance encore. Je finis par la bloquer et la signaler au réseau. Mais on aimerait presque avoir à faire à de tels recruteurs insistants dans la vraie vie, pour de vrais jobs de rêve!
Yves Genier
Conseils
On ne recrute pas par messagerie dans la vraie vie. Encore moins par une personne qui ne se présente que par son prénom, sans pouvoir identifier son identité ni son employeur, et on promet encore moins une rémunération en cryptomonnaie. Si vous êtes contacté de cette manière (cela peut arriver pour un premier contact), assurez-vous des éléments suivants:
- Identifiez clairement et formellement l’identité de votre recruteur (nom, prénom, entreprise, localisation précise).
- Rencontrez-le en vrai, ou à tout le moins par vidéoconférence sur une plateforme reconnue (Skype, Zoom, etc.).
- Vérifiez les références de l’entreprise ou de l’institution censée vous recruter: site internet, adresse physique, inscription au Registre du commerce ou son équivalent.
- Dans le doute, appelez directement les ressources humaines de l’entreprise en question pour vérifier l’authenticité de la démarche.
- Ne téléchargez aucun site ni document avant d’être certain de l’authenticité du recrutement.
- N’ouvrez pas de compte à votre nom pour recevoir des paiements en cryptomonnaies en lien avec l’offre d’emploi. Ce compte risque d’être utilisé par les escrocs à des fins criminelles.
- Si vous êtes victime d’une telle escroquerie, déposez plainte à la police.
Promesses alléchantes, gains inaccessibles
Le Centre national de Cybersécurité dit avoir reçu plusieurs signalements de tentatives de recrutement similaires. «Cette arnaque suit un schéma bien établi qui mélange des promesses alléchantes, des tâches simples mais lucratives, et finalement des obstacles insurmontables lorsqu’il s’agit de récupérer les gains», explique-t-il.
Et de poursuivre: «Les candidats sont rapidement séduits par des promesses de gains démesurés par rapport à la nature des tâches à accomplir. Ces tâches peuvent inclure la rédaction d’évaluations, l’achat de produits, la recommandation d’articles de mode ou encore le test d’applications via des smartphones. La suite du processus de recrutement peut impliquer l’ouverture de comptes au nom et aux dépens de la victime, y compris la collecte de documents d’identité et de fiches de salaire.
Après le recrutement, les candidats accèdent directement à la plateforme informatique, qui est souvent une imitation d’un site légitime opérant dans un secteur similaire.
La plateforme propose une liste de missions, chaque mission se traduisant par la rédaction d’un avis positif. Chaque accomplissement rapporte une certaine récompense, créditée sur le compte de l’employé via la plateforme. Cependant, le nombre de missions disponibles diminue rapidement jusqu’à atteindre zéro. Ce concept est connu sous le nom de Pay2Fast (payer pour accélérer) en anglais.
Le problème survient lorsque la victime souhaite retirer ses gains. Les escrocs évoquent diverses raisons et frais à payer pour que la victime puisse toucher ses gains. Cependant, il est important de noter que cet argent ne sera jamais réellement versé.»