Une lectrice nous demande: «Je suis copropriétaire d’une maison dans le sud de la France. Je ne l’ai pas déclarée en Suisse pour le moment: dois-je le faire en France? En Suisse? Dans les deux pays?»
Une autre a une préoccupation similaire: «Je suis franco-suisse et je me pose beaucoup de questions sur la manière d’éviter la double imposition. Je ne voudrais pas me retrouver dans une situation inextricable le jour où j’hériterai de la moitié de la maison familiale: nous sommes en indivision avec mon frère.»
Les relations fiscales entre la Suisse et la France avaient été réglées par plusieurs conventions contre les doubles impositions: celle couvrant le revenu et la fortune, mise à jour la dernière fois en 2014 pour couvrir la transmission des données bancaires, et celle sur les successions. L’annulation de celle-ci en 2016 par le gouvernement français et le refus du Conseil national de ratifier un projet de nouveau texte ont, à cet égard, brouillé beaucoup de cartes, et surtout renchéri fortement la facture fiscale dans certaines situations. Enfin, le Tribunal fédéral a ajouté une couche de complexité.
1. Dans quel pays est-on imposé?
L’on est imposé sur l’ensemble des revenus et de la fortune dans le pays de résidence. Cela signifie qu’une personne – quelle que soit sa nationalité – résidente en Suisse paye ses impôts en Suisse, même sur les revenus de source française, à quelques exceptions près. Un Suisse résidant en France paye ses impôts en France, même s’il a des revenus de source helvétique, par exemple une rente AVS.
2. L’immobilier paye ses impôts dans le pays où il se situe
Les biens immobiliers sont soumis à un ensemble d’impôts et de taxes. Ceux-ci se payent dans le pays dans lequel se trouvent ces biens. Exemple: vous vivez en Suisse, vous possédez une maison en France, vous vous acquittez des impôts et taxes qui y sont applicables. Si vous la vendez, c’est au fisc français que vous devez payer les impôts afférents, notamment sur la plus-value.
3. Un bien à l’étranger se déclare, même s’il n’est pas taxé en Suisse
Les biens immobiliers en France appartenant aux résidents suisses doivent être déclarés au fisc en Suisse même si ce dernier ne les impose pas. Cette déclaration doit être faite au moment de remplir le formulaire annuel de déclaration fiscale. La prescription est de dix ans: si le fisc repère un bien non déclaré pendant ce délai, le contribuable risque des rappels d’impôts avec intérêts moratoires. Le fisc se sert de la déclaration pour quantifier la fortune imposable et appliquer le taux d’impôt du contribuable.
Exemple: vous déclarez une fortune de 100 000 fr. Votre maison en France vaut 50 000 fr. Vous devez l’ajouter à votre déclaration même si elle est imposée en France et pas en Suisse: la Suisse imposera votre fortune sur le taux applicable à une fortune de 150 000 fr. Pour estimer la valeur du bien immobilier en France, on applique les mêmes règles d’estimation fiscale que celles qui ont cours en Suisse pour un bien similaire.
4. Jusqu’à un tiers d’impôt
Un bien immobilier en France détenu par un résident suisse est soumis à l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) si sa valeur excède 1,3 million d’euros. Son taux est progressif, de 0% à 1,5% de la valeur du bien.
Lors de la vente du bien, le fisc français prélève, comme la Suisse, un impôt sur la plus-value immobilière. Celle-ci est établie sur la base du prix de vente déduit du prix d’achat (majoré de 7,5% pour couvrir les frais d’acquisition) et des investissements consentis pour entretenir le bien.
Le taux est de 19%. Il est dégressif si la durée de détention du bien est supérieure à cinq ans. L’imposition disparaît en cas de durée de détention supérieure à 22 ans. Si la plus-value excède 50 000 euros, une surtaxe s’ajoute. Son taux est progressif. Il est compris entre 2% et 6% de la plus-value.
En plus de ces impôts, le vendeur doit s’acquitter d’un prélèvement de solidarité de 7,5%. Ce taux est dégressif pour les biens détenus plus de cinq ans. La taxe disparaît si la détention a duré 30 ans ou davantage. Ces taxes ne sont pas applicables si le prix de vente est inférieur à 15 000 euros.
En tout, le taux d’imposition s’échelonne entre 0% et 32,5% de la plus-value.
5. C’est l’usufruitier qui paye l’impôt immobilier
Dans le cas où l’immeuble en France est détenu par la personne résidente en Suisse, mais que le bien est occupé par une autre personne qui jouit de l’usufruit, c’est cette dernière personne qui doit s’acquitter des impôts. La situation est typique des familles ayant planifié une succession: la maison est déjà transmise aux héritiers mais ce sont les parents (ou le parent survivant) qui y demeurent et en bénéficient de tous les droits. A eux donc d’assumer aussi les charges fiscales.
6. Exception: les détenteurs de SCI françaises sont taxés en Suisse
Il est courant qu’une maison en France soit détenue non pas par des personnes physiques mais par une entité nommée société civile immobilière (SCI). Cette structure, valable si elle appartient à deux personnes au moins, permet notamment de réduire les droits de succession: ceux-ci sont même abandonnés pour toute succession de moins de 100 000 euros par personne. Deux héritiers d’un bien sous le régime de la SCI valant moins de 200 000 euros échappent donc à l’impôt sur les successions en France. De même, les biens valant moins de 1,3 million d’euros sont exonérés de l’IFI.
Or, l’impôt qui n’est pas payé en France a toutes les chances de l’être en Suisse. Le Tribunal fédéral (TF) a jugé fin 2022 qu’une SCI était imposable. Car il a jugé que cette structure est une personne morale, même si son rôle se limite à détenir un bien immobilier. Aussi les détenteurs en Suisse d’une telle entité sont-ils soumis à l’impôt sur le revenu et la fortune à concurrence de leurs parts dans la SCI.
Le TF a précisé son raisonnement dans un autre jugement de juin dernier, dans lequel il spécifie – toujours concernant les SCI – que ce qui n’est pas taxé en France peut l’être en Suisse, non seulement sur la fortune mais aussi sur le revenu.
Yves Genier