Les conseillers financiers et les conseillers en assurance perçoivent des commissions d’intermédiation de la part des distributeurs de produits financiers lorsqu’ils trouvent des clients pour leurs produits. Ce modèle de commission, que l’on appelle aussi rétrocession, est répandu en Suisse et dans de nombreux autres pays.
Il est problématique, car les conseillers sont ainsi incités à recommander avant tout des produits financiers qui leur rapportent des commissions élevées. Les investisseurs ne paient certes rien pour le conseil financier. Mais ils paient – indirectement – d’autant plus que les prix des produits sont excessifs. En effet, les rétrocessions sont financées par ces derniers.
Le Danemark, la Finlande, le Royaume-Uni, la Norvège, l’Australie et la Nouvelle-Zélande les ont interdites afin d’éliminer les conflits d’intérêts des conseillers financiers.
Une perte de rendement
Des chercheurs de l’Université de Ratisbonne (Allemagne) ont étudié l’impact de ces interdictions. Pour cette étude, une équipe du Center for Finance, basé à l’université, a eu recours aux données de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Les chercheurs ont comparé l’évolution de la constitution de patrimoine des ménages privés dans les 38 pays de l’OCDE, y compris la Suisse, avec et sans interdiction de facturer des commissions.
Résultat: la différence de rendement corrigée des effets spécifiques au pays et au moment s’élève à 1,7% par an. En d’autres termes, le patrimoine des ménages dans les pays où les rétrocessions sont interdites a augmenté en moyenne d’environ 1,7% par an de plus que le patrimoine dans les pays où elles sont autorisées.
Pour Florian Schubiger de la société de gestion d’actifs Vermögenspartner à Zurich, l’étude confirme qu’à long terme, il est clairement plus avantageux pour les investisseurs de payer pour un conseil financier. En effet, les conseillers rémunérés au moyen de rétrocessions proposent souvent aux investisseurs privés des produits financiers trop chers et inutiles à long terme. Vermögenspartner mise exclusivement sur le conseil en honoraires et rembourse aux clients les éventuelles rémunérations. Schubiger trouve toutefois «très élevé» l’écart de performance annuel de 1,7% calculé par les chercheurs. Selon lui, la différence devrait être d’environ 1% en Suisse.
Choix «limité»
L’Association suisse des banquiers (ASB) ne croit pas beaucoup à l’étude comparative réalisée en Allemagne. «En Suisse, une interdiction des rétrocessions limiterait donc avant tout les possibilités de choix des clients des banques et doit donc être rejetée», estime-t-elle.
L’Association Suisse d’Assurances (ASA) critique l’étude en ce qu’elle ne tient pas compte de l’appétit pour le risque des différents pays. Dans des pays comme le Danemark, la Norvège ou l’Australie, les personnes actives disposent en partie de revenus très élevés. Par conséquent, la propension au risque est plus élevée dans ces pays et, de ce fait, les rendements obtenus le sont également. En Suisse, le modèle des rétrocessions a fait ses preuves. L’association ne voit «aucune nécessité d’agir».
Dans leur étude, les chercheurs de Ratisbonne abordent également l’argument selon lequel les conseils délivrés seraient de moindre qualité si ceux-ci devaient être rémunérés par les clients directement. Toutefois, argumentent-ils, cette baisse ne serait pas nécessairement une mauvaise chose, estiment-ils. En effet, «aucun conseil ne peut être meilleur qu’un conseil dénué de conflits d’intérêts». De nos jours, les investisseurs peuvent également acheter eux-mêmes des fonds indiciels négociés en bourse (ETF) sur Internet. Leurs performances sont généralement meilleures que celles des fonds actifs, coûteux, généralement recommandés par les conseillers financiers.
Peu d’entreprises de conseil financier suisses renoncent aux rétrocessions et autres avantages pécuniaires de tiers et qui misent exclusivement sur un modèle d’honoraires. C’est le cas par exemple de Vermögenspartner AG, déjà mentionnée, d’Onyx & Cie à Genève, de Glauser + Partner Vorsorge à Berne et Brigue. Pour les conseils en assurance et en prévoyance, les personnes intéressées peuvent s’adresser à Fairsicherung à Berne. Beaucoup d’autres proposent explicitement à leurs clients soit d’accepter que leur gestionnaire perçoive des rétrocessions soit de le rémunérer directement.
Thomas Lattmann / yg
Rétrocessions autorisées mais encadrées
Les rétrocessions sont prévues par la Loi sur les services financiers (article 26 LSFin) dans la mesure où le gestionnaire qui les perçoit en informe son client. L’information doit être complète et inclure non seulement les paramètres de calcul des commissions perçues, mais aussi leurs montants ainsi que les prévisions de futurs versements.
Cet article de loi résulte de dix ans de jurisprudence toujours plus restrictive du Tribunal fédéral: c’est en 2011 que la Haute Cour a introduit le devoir d’informer, et en 2018 qu’il a qualifié le défaut d’informer de délit pénal punissable jusqu’à cinq ans de prison.
L’UE connaît un régime bien plus restrictif en la matière: les rétrocommissions sont interdites par la directive MiFID (Market in Financial Instruments Directive) de 2014, du moment qu’elles sont perçues dans le cadre d’un conseil indépendant. Si le conseil n’est pas indépendant, il ne doit pas nuire aux intérêts du client.