La fiscalité des rentes viagères va vivre un bouleversement fiscal à son échelle le 1er janvier prochain. La base d’imposition sera complètement transformée. Le but de cette réforme est une baisse des impôts à payer lorsque l’on est soi-même au bénéfice de telles rentes. Toutefois, les autres postes de coûts ne varient pas et la transparence des calculs de rentes et de frais ne s’améliore pas.
Actuellement, les rentes sont taxées de la manière suivante: 40% de la rente est considérée comme revenu imposable tandis que 60% de la rente ne l’est pas, car le fisc considère ce versement comme un remboursement du capital. Ce qui veut dire que sur une rente annuelle de 10 000 fr., seuls 4000 fr. sont inclus dans le revenu imposable. Si le bénéficiaire est imposé à 15%, il paiera donc 600 fr. d’impôt sur cette rente. Le solde, les 6000 fr. restants, n’est pas imposé.
Sur cette base, les instructions de l’Administration fiscale genevoise, pour prendre cet exemple, exigent que chaque contribuable précise qui a versé quel capital au bénéfice de qui. Les autres cantons demandent des précisions similaires.
Rendement moyen et espérance de vie
Le nouveau système prévoit que le revenu imposable soit conditionné par deux éléments. Le premier est le rendement permis par le taux technique maximal décidé par la Finma (le gendarme des banques et des assurances) lors de l’année de signature du contrat. Le second élément est que les rendements excédentaires soient taxés à 70% au lieu de 100%.
La part imposable dépend d’une formule mathématique incluant non seulement le taux technique maximum, mais aussi l’espérance de vie moyenne des hommes et des femmes à l’âge de 62 ans, âge auquel est typiquement conclu une assurance de rente viagère à prime unique. Telle est l’explication du message sur la réforme de l’imposition de la rente viagère publié par le Conseil fédéral en novembre 2021 et accepté par les Chambres l’année suivante.
Ce calcul multiplie le rendement au taux technique par l’espérance de vie des hommes exprimée en nombre d’années (22), divisé par le résultat de la multiplication du rendement au taux technique multiplié par le nombre d’années d’espérance de vie des hommes, chiffre multiplié par le rendement du taux technique de l’espérance de vie des femmes exprimé en années (23, un an de plus). Vous prenez le tout et vous le multipliez par 100%.
Vous avez mal au crâne? L’auteur de ces lignes aussi. Le résultat est, pour les polices conclues en 2024, de 4,25%. Ce dernier chiffre détermine la part imposable de la partie garantie des rentes viagères. Si l’on reprend l’exemple ci-dessus d’une rente annuelle de 10 000 fr., le revenu imposable se monte par conséquent à 425 fr. Nettement moins que dans l’exemple précédent.
Étant donné que rares seront les contribuables à même d’effectuer ce calcul eux-mêmes, il reviendra aux assureurs de remettre chaque année une attestation indiquant le montant du rendement à inscrire sur la déclaration d’impôt afin que le fisc puisse faire lui-même le calcul.
Cette réforme a été faite en conséquence de la chute des taux d’intérêt durant les années 2010 ayant amené le Tribunal fédéral à déclarer dans plusieurs jugements que les contribuables n’étaient plus égaux face à l’impôt.
L’impôt peut remonter
Mais que se passera-t-il lorsque ce taux technique maximal remontera, suivant ainsi la tendance de ces deux dernières années? Inévitablement, le taux de rendement imposable remontera aussi, renchérissant la charge fiscale des contrats d’assurances viagères qui seront signés ces prochaines années si les taux d’intérêt ne rebaissent pas.
Si le bénéficiaire de la rente viagère touche aussi un excédent, celui-ci est donc taxé à 70% au lieu de 100% afin d’appliquer la règle selon laquelle les gains en capitaux ne sont pas taxés. Cela signifie que toute rente excédant la rente garantie bénéficie d’un abattement de 30%: il ne sera perçu aucun impôt sur cette partie-là.
Pour reprendre notre exemple d’une rente de 10 000 fr. Ajoutons un excédent de 1000 fr., ce qui porte le versement de l’assurance viagère au bénéficiaire à 11 000 fr. Pour taxer cet excédent de 1000 fr., le fisc procède à un abattement de 30%, dont 300 fr. Le contribuable sera taxé sur le revenu sur les 700 fr. restants.
Rente basse, calculs peu transparents
Pour couronner notre exemple, voyons quel serait le revenu imposable d’un contribuable percevant 11 000 fr. de rente viagère (10 000 fr. résultants de la rente garantie et 1000 fr. d’excédents): 425 fr. auxquels s’additionnent 700 fr., donc 1125 fr. au total. Cela représente 10,2% de la somme. Autrement dit: près de 90% du montant n’est pas taxé.
La rente viagère servie à vie est donc très peu taxée sur le revenu. Mais est-elle un bon placement pour la retraite? Julien Favre, de VermögensZentrum à Lausanne, en doute: le taux de conversion du capital en rente est généralement inférieur à celui d’une caisse de pension. Le bénéficiaire peut choisir, lors de la conclusion du contrat, de faire bénéficier ses héritiers du capital restants, mais cela aura pour effet d’abaisser encore le taux de conversion. S’il veut relever ce taux, il doit accepter le fait que le capital résiduel sera perdu pour ses héritiers.
Le bénéficiaire peut aussi décider si la rente s’applique à une tête (auquel cas elle cesse à son décès) ou à deux têtes (le survivant perçoit la rente après le décès de la première tête), mais ce choix peut aussi faire baisser le taux de conversion. L’assureur et l’éventuel courtier facturent aussi leurs frais, qui ne sont pas toujours transparents. Enfin, la conclusion d’un contrat de rente viagère est soumise au droit de timbre fédéral, 2,5% du capital. Pour un avoir de 200 000 fr., l’impôt est donc de 5000 fr.
La réforme fait donc de la rente viagère une niche fiscale intéressante pour qui veut abaisser sa facture d’impôt. Mais les conditions pour l’obtenir se sont durcies avec la baisse des taux d’intérêt pendant les années 2010 à 2022 et ne sont pas prêtes de s’améliorer: les calculs des excédents et des frais demeurent encore souvent peu lisibles, voire peuvent induire en erreur le client peu attentif, comme notre magazine l’a rapporté dans des éditions précédentes (n°2/2023, 1/2024, 3/2024).
Mieux vaut donc lire attentivement les petites lettres du contrat et les conditions générales avant de signer plutôt que de se laisser allécher sans analyse critique par la perspective d’une baisse d’impôt.
Yves Genier