Le deuxième pilier est obligatoire pour la plupart des salariés et fortement encouragé pour les indépendants. Pourtant, il coûte fort cher à tous ses affiliés. Ses frais de fonctionnement se sont montés à 7,1 milliards de francs en 2022, selon l’Office fédéral de la statistique. Cela représente 1295 fr. par affilié au 2e pilier.
Cette année-là, 5,51 millions de personnes étaient affiliées: 4,62 millions de cotisants et quelque 890 000 retraités, toujours selon l’OFS.
De quoi se composent ces frais? Pour une part minoritaire, ce sont les coûts d’administration des caisses: l’administration générale essentiellement, mais aussi les primes payées aux assurances (Lire notre article "Les assurances gagnent des fortunes grâce au 2e pilier), le marketing, la publicité, les frais de courtage et les cotisations à payer aux autorités de surveillance, au sommet desquelles se trouvent la Commission de haute surveillance de la prévoyance professionnelle (CHS PP) et la Finma, le gendarme des assurances et des banques. Ces frais ont juste dépassé le milliard de francs, un chiffre en progression modérée depuis dix ans.
La fortune progresse moins vite
Les 6,1 milliards de francs restants, c’est-à-dire la plus grosse part, sont les frais de gestion de fortune. Ce sont les coûts facturés aux affiliés à la prévoyance professionnelle par les banques, les compagnies d’assurance et les gestionnaires de fonds indépendants pour placer l’argent du deuxième pilier. Pour gérer cet argent, chaque affilié a donc payé 1107 fr. en moyenne.
En dix ans, ces coûts ont pratiquement doublé. En 2013, ils se montaient à 3 milliards de francs seulement. Par assuré, la facture s’élevait à 448 fr., moins de la moitié de la facture individuelle actuelle.
Pourtant la fortune globale du 2e pilier, elle, n’a pas doublé en dix ans. En 2013, elle se montait à près de 719 milliards de francs. En 2022, elle dépassait de justesse 1185,8 milliards de francs, soit quelque 215 200 fr. par affilié en moyenne. La progression de la fortune totale n’a donc été «que» de 48%. Cela signifie que la hausse des frais de gestion de la fortune a été deux fois plus rapide que celle de la fortune elle-même.
Les frais dévorent les revenus des placements
Ces frais peuvent être calculés en pourcentage de la fortune totale. Autrement dit: combien coûte, à l’affilié, chaque année, la gestion d’un avoir de retraite de cent francs. Ce pourcentage est vite calculé: 0,57%. Pour un avoir de 100 000 fr., chaque affilié a donc payé 570 fr. au gestionnaire de fortune de sa caisse, en moyenne. L’affilié moyen, qui détient donc 190 000 fr., a par conséquent payé 1083 fr. en moyenne en 2022 à ce même gestionnaire. Il y a dix ans, il n’en aurait sans doute payé que la moitié.
Ce chiffre est nettement supérieur aux frais facturés par d’autres institutions gérant des fortunes colossales. Ainsi, Publica, la caisse de pension des employés de la Confédération, facture des frais de gestion de fortune de 0,27%, moins de la moitié de la moyenne. Quelques autres caisses de pension parviennent à maintenir elles aussi les coûts à ce niveau.
Mais il y a mieux en termes d’économicité des coûts: Compenswiss, l’organe de gestion du fonds de compensation de l’AVS, facture des frais de gestion de fortune de 0,11%. Enfin, la Suva, la compagnie d’assurance obligatoire des accidents du travail, ne facture que 0,07% de frais de gestion de fortune.
Le poids des frais n’est pas le même pour les caisses dont la fortune est bien gérée que pour celles dont la fortune n’augmente que peu, voire pas du tout. Selon la dernière étude annuelle de Swisscanto, les 10 caisses les mieux gérées ont affiché une performance moyenne de 8,2% l’an dernier (leur fortune a augmenté d’autant grâce aux rendements et plus-values de leurs placements).
Les 10 pires n’ont vu la leur progresser que de 2,3%. Leurs frais de gestion de fortune se sont échelonnés de 0,14% à 1,23%, dévorant, parfois de manière importante, les revenus des placements.
Manque de transparence
La hausse continue des coûts de gestion de fortune est pourtant régulièrement critiquée. En décembre 2022, le Contrôle des finances de la Confédération (CDF) déplorait, dans un rapport sur les frais de gestion dans la prévoyance professionnelle, le manque de sensibilité des responsables des caisses pour la question des frais, et encore moins lorsque les promesses de gains faites par les gestionnaires sont élevées.
Le CDF a noté dans ce même document qu’il ne revient pas aux autorités de régulation de poser elles-mêmes des limites aux coûts. Aussi a-t-il renvoyé la responsabilité du contrôle des coûts aux cotisants: «Les assurés et les employeurs doivent accorder à ce thème toute l’attention qu’il mérite au regard des milliards de francs annuellement dépensés en frais d’administration et de gestion», a-t-il écrit dans son rapport.
Bien que les coûts doivent être clairement identifiés dans les comptes, il reste difficile d’y voir clair, critique l’ancien surveillant des prix Rudolf Strahm: «Les coûts annuels d’administration et de gestion de la fortune devraient être établis sur des bases comparables et publiques pour chaque caisse de la même manière que les primes d’assurance maladie de base.» Et de proposer la divulgation obligatoire des coûts en francs par assuré ou en pourcent de la fortune de chaque caisse. Ces données permettraient à la CHS PP ou à l’Office fédéral de la statistique d’établir un classement des institutions de prévoyance en fonction de leurs coûts.
Lobbies bancaires et d’assureurs
La directrice de la CHS PP, Laetitia Raboud, explique que son autorité n’est pas compétente pour réglementer les frais dans le deuxième pilier. Elle estime qu’elle a fait son travail en édictant en 2013 une directive sur la présentation des frais de gestion de fortune, dont elle supervise la mise en œuvre par les caisses de pension. Sinon, les institutions de prévoyance lui paraissent trop diverses pour être comparées.
Toutes les initiatives visant à soumettre le deuxième pilier à des contrôles d’efficience ont échoué. Pour Gabriela Medici, secrétaire centrale en charge des assurances sociales à l’Union syndicale suisse, la responsabilité en incombe aux lobbies des assurances et des banques auprès des Chambres fédérales. Aussi, les institutions de prévoyance restent livrées à elles-mêmes face aux gestionnaires de fortune. Et ce sont les affiliés qui payent des factures en hausse régulière.
Patricia Faller et Yves Genier