L’effondrement de Credit Suisse en mars 2023 a fait éclater une évidence: les dirigeants des banques peuvent être irresponsables. Alors qu’un torrent de plaintes s’est déversé contre la Finma, le gendarme des banques, pour avoir réduit à néant la valeur d'une partie des fonds propres de l'établissement, presque aucune procédure judiciaire n’a été ouverte contre les anciens dirigeants de la banque.
Ce sont pourtant eux, à commencer par l’ex-président Urs Rohner, qui ont laissé se développer les scandales en série sans prendre de mesures efficaces pour y mettre fin.
Après en avoir longtemps rejeté l’idée, le gouvernement a finalement proposé le 10 avril dernier l'introduction d'un «régime de responsabilité» – ou «senior managers regime» – applicable aux dirigeants des banques. Ce régime est exposé dans le Rapport du Conseil fédéral sur la stabilité des banques.
Dans la loi
Les points essentiels sont les suivants:
- Ce régime doit contraindre les cadres dirigeants à se soumettre à un examen de compétence. Il doit aussi les obliger à formaliser les règles internes garantissant le bon fonctionnement de l’entreprise et attribuer des responsabilités personnelles, afin que ces règles soient respectées.
- Il doit s’appliquer aux membres du conseil d’administration, à la direction générale, voire à certains collaborateurs du niveau inférieur. Il doit être inscrit dans la loi.
Avec de telles règles, les dirigeants des banques ne pourront plus invoquer «des facteurs externes» pour expliquer une faillite bancaire. Ils en seront personnellement tenus pour responsables.
- L’instauration d’un régime de responsabilité personnelle devrait avoir des conséquences très concrètes: le blocage de leurs bonus, voire leurs remboursements. Sans oublier d’éventuelles poursuites civiles et pénales, des mesures pour ainsi dire inapplicables dans le droit actuel.
Ce régime de responsabilité est appliqué au Royaume-Uni depuis 2016. Depuis lors, les dirigeants bancaires prennent leurs tâches plus au sérieux. D’autres pays dotés de nombreuses banques l’ont aussi introduit depuis lors, dont plusieurs Etats américains. Il figure dans les projets de l’Union européenne.
Les propositions du Conseil fédéral présentées et défendues par Karin Keller-Sutter incluaient d’autres mesures, comme l’augmentation des réserves financières obligatoires des banques et la réduction des bonus des banquiers indélicats. Mais si ces dernières idées ont été bien relayée dans l’opinion, tel n’a pas été le cas du régime de responsabilité des patrons de banques.
Mesures «modérées»
Sans surprise, les lobbies bancaires s’y opposent du mieux qu’ils peuvent. Le régime doit être «modéré», plaide l’Association suisse des banquiers dans un communiqué de presse paru en avril. Elle appelle à «circonscrire le champ d’application de certaines mesures».
Plaidoirie identique de l’Association de banques privées, qui regroupe des établissements d’importance tels que Julius Baer, qui a connu de graves turbulences ces dernières années faute d’une gestion rigoureuse: le régime de responsabilité doit être «allégé» et ne concerner que les grandes banques, écrit-elle dans son rapport annuel.
Leur cible: l’étendue effective de ce régime.
- Doit-il être appliqué pour les activités en Suisse uniquement ou dans le monde entier? Pour une banque comme UBS, de taille mondiale, la différence est énorme. Évidemment, elle souhaiterait une étendue géographique la plus réduite possible afin que les fautes qui se seraient produites à l’étranger ne puissent pas faire l’objet de sanctions de la Finma.
- Où s'arrête la responsabilité exigée? Comment l’établir et comment la documenter? La Finma souhaite des règles étendues et précises, les banquiers évidemment tout le contraire.
- Dans quelle mesure le gendarme de la finance pourrait-il vérifier lui-même que les règles sont respectées? Les banques ont toujours défendu le concept d’autoréglementation lorsqu’elles ne peuvent plus empêcher l’instauration de nouvelles règles: cela maintient le gendarme au loin. Or, l’autoréglementation est la porte ouverte à une application plus laxiste des règles.
Yves Genier