Julie a de la chance. Sa caisse de pension pourra lui accorder des prestations de retraite généreuses. Grâce à une bonne gestion de ses placements, elle a pu rémunérer à un niveau élevé les avoirs de ses affiliés, ce qui lui assurera une rente plus élevée lorsqu’elle sera à la retraite. La clé: elle n’a pas recouru à une compagnie d’assurance pour faire ce travail, ou à peine.
Marc a nettement moins de chance. Alors qu’il gagne autant que Julie, et qu’il cotise – son employeur aussi – autant qu’elle pour sa retraite, il recevra des rentes amoindries par rapport à elle. La cause: la gestion de ses avoirs a été confiée à une compagnie d’assurance. Celle-ci, dont la gestion a été extrêmement prudente et a été facturée, a manqué de nombreuses opportunités de gains. La caisse de pension a donc moins pu rémunérer les avoirs de ses affiliés. Sa rente, à la retraite, sera moins bonne que celle de Julie.
Les rendements font la différence
La prévoyance professionnelle, connue aussi sous le terme de deuxième pilier, a trois sources de financement: les cotisations des salariés, celles de leurs employeurs, et le rendement des placements. Ces derniers sont obtenus grâce aux revenus de la fortune constituée par l’accumulation des cotisations. Plus les rendements sont élevés, mieux les caisses de pension peuvent rémunérer les avoirs de leurs affiliés. A l’inverse, moins une caisse obtient de rendements, moins elle pourra se montrer généreuse. D’où l’écart des rentes que percevront Julie et Marc.
Des statistiques de l’Office fédéral des assurances sociales obtenues par la rédaction de Mon Argent, et de la Finma (le gendarme des banques et des assurances), portant sur les années 2016 à 2020, chiffrent cet écart des rémunérations des avoirs de prévoyance. Sur ces seules cinq années, cette différence se monte à plusieurs points de pourcentage. En francs, les sommes peuvent varier du simple au double (voir graphique).
Du simple au double
Prenons l’exemple de Julie et de Marc. En début de carrière tous les deux, ils ont accumulé 60 000 fr. chacun: 50 000 fr. sont soumis au régime obligatoire (les règles de la prévoyance professionnelle s’appliquent: taux de conversion de 6,8%, etc.), 10 000 fr. au régime surobligatoire (chaque caisse gère cet argent comme elle l’entend).
La caisse de Julie est autonome: elle se passe complètement des services d’une assurance, que ce soit pour gérer l’épargne de ses affiliés ou pour assurer ses risques. Entre 2015 et 2020, ses avoirs à l’origine sont rémunérés, en tout, à 5659 fr. Celle de Marc est ce que l’on appelle une collective: elle confie la totalité de ses avoirs et de ses risques à une compagnie d’assurance. En 2020, l’avoir déposé en 2015 n’a rapporté que 2826 fr. Pratiquement la moitié, seulement, ce que qu’a rapporté la caisse de Julie. Si l’on fait une projection de cet écart sur les 40 ans que dure en moyenne une carrière professionnelle, pour Julie, la différence atteint 29 000 fr. au détriment de Marc.
Bien sûr, Julie, Marc et leurs employeurs respectifs ont cotisé pendant ces années. Leurs avoirs de prévoyance ont grandi d’autant. La rémunération de ces avoirs aussi. L’écart, au terme d’une carrière professionnelle, va donc bien au-delà de 29 000 fr. Julie, par conséquent, recevra une rente nettement supérieure à celle de Marc.
Le grand écart des rémunérations
Les prestations de prévoyance sont divisées en deux grandes catégories: obligatoires et surobligatoires. Les prestations obligatoires couvrent la partie des salaires (ou des revenus des indépendants) entre 2143,75 fr. et 7350 fr. par mois. Ces prestations sont soumises aux Ordonnances sur la Prévoyance professionnelle, qui fixent notamment le taux minimal de rémunération des avoirs à 1% et le taux de conversion à 6,8%. Toute prestation supplémentaire est laissée à la discrétion de chaque caisse. Les taux de rémunération et de conversion sont libres.
En 2020, les avoirs des caisses collectives destinés aux prestations obligatoires n’étaient rémunérés que de 1%, le minimum légal. Les caisses semi-autonomes ont rémunéré les avoirs de leurs affiliés presque le double, 1,95%. Cette année-là, un affilié d’une caisse sous le régime de l’assurance complète ayant jusque-là accumulé 100 000 fr. voyait son avoir grossir de 1000 fr. en moyenne. Celui dont l’avoir de même taille était géré par une caisse semi-autonome se voyait crédité – en moyenne aussi – de 1950 fr.
Les prestations surobligatoires connaissent des écarts encore plus grands. Les caisses au régime de l’assurance complète voyaient leurs avoirs rémunérés, en 2020, de 0,16%: 100 000 fr. d’avoirs n’étaient rémunérés que de 160 fr. Les caisses semi-autonomes qui n’étaient couvertes que pour les risques de surmortalité ou d’excès de cas d’invalidité voyaient leurs avoirs surobligatoires rémunérés même plus généreusement – à un cheveu près – que les avoirs surobligatoires: 1,96%. Soit 1960 fr. pour un avoir de 100 000 fr.
Le tableau ci-dessus montre de manière exhaustive les rémunérations moyennes des différentes catégories d’institutions de prévoyanc
Yves Genier
«Le prix de la sécurité»
Pourquoi les assureurs comme Swiss Life, Zurich, Axa et les autres permettent-ils une si faible rémunération des avoirs des caisses dont ils assurent les risques? «Les assurances, contrairement aux caisses de pension autonomes et semi-autonomes, n’ont pas le droit d’être en sous-couverture», rappelle Thilo Kleine, porte-parole de l’Association suisse d’assurance. Cette contrainte résulte du Swiss Solvency Test (SST), qui les oblige notamment à privilégier fortement les placements sûrs. Ceux dont les rendements et les possibilités de plus-values sont les plus faibles. Aussi, poursuit-il, les avoirs de retraite ne peuvent être que faiblement rémunérés. «C’est le prix de la sécurité», conclut-il.
Les rôles des assurances
Les risques couverts par les assurances sont, globalement, de deux types:
- Les risques d’invalidité et de décès. Les caisses peuvent opter pour une couverture partielle (uniquement les risques excessifs) ou complète. La première est moins coûteuse en primes que la seconde. Les caisses soumises à ce régime sont qualifiées de semi-autonomes.
- L’épargne, que constituent leurs affiliés. Les caisses qui appliquent ce régime confient tout ou partie de leurs avoirs à une compagnie d’assurance pour être certaines de ne pas faire de perte. En contrepartie, la compagnie d’assurance facture des primes et gère le bas de laine. Cette méthode est la plus sûre mais aussi la plus coûteuse pour les caisses. Les caisses qui se soumettent à ce régime sont qualifiées de collectives, ou de semi-autonomes si l’épargne n’est couverte que de façon partielle.
Les caisses de pension qui décident de couvrir elles-mêmes l’intégralité de leurs risques sont qualifiées de caisses autonomes.
Comment améliorer des prestations
Sauf à changer d’employeur, un salarié ne peut pas changer de caisse de pension. Il peut, toutefois, influer sur son mode de gestion des actifs. Les instruments existent. Encore faut-il les employer.
Une institution de prévoyance est une entité indépendante de l’employeur instituée en fondation de prévoyance. Celle-ci est dirigée par un conseil de fondation, lequel est composé par autant de représentants des salariés que du patron.
Si un salarié est insatisfait des prestations de sa caisse, il peut en parler à l’un de ses dirigeants. Dans une première démarche, il peut être opportun d’en parler directement à l’employeur. Toutes les décisions doivent être prises par le conseil de fondation.
Une caisse est liée par un fonctionnement précis s’appuyant sur des contrats noués avec des prestataires externes. Il est très difficile de changer tant que ces contrats sont en vigueur. Il faut donc préparer le changement bien en amont afin que la solution nouvelle puisse entrer en vigueur dès la fin de validité des contrats existants.
Les caisses de pension qui recourent le plus aux compagnies d’assurance pour couvrir les risques d’épargne, de décès et d’invalidité (dite «assurance complète») par le modèle de la «collective d’assurance» cherchent à réduire les coûts en minimisant le risque de pertes. Comme on le voit, cette solution coûte cher aux affiliés.
Les alternatives sont:
- La couverture d’assurance partielle: généralement, les risques d’invalidité et/ou de décès sont pris en charge totalement ou partiellement par une compagnie d’assurance, le risque de l’épargne étant laissé à l’institution de prévoyance
- L’entier des risques est pris en charge par l’institution de prévoyance («institution autonome»). À elle de constituer les réserves de couverture des risques.
Plus une caisse est importante, plus elle peut faire face à la charge financière de couverture des risques. Aussi, de très nombreuses caisses mutualisent leurs charges et leurs risques en confiant leur destin à des «caisses collectives» (chaque institution reste autonome mais confie la gestion de ses finances à un pool) ou des «caisses communes» qui ne sont pas liées à des compagnies d’assurance. Les caisses collectives – comme la CIEPP, la FIP, Profond, Nest, etc. – sont généralement celles qui publient les taux de rémunération des avoirs les plus élevés.
Une institution de prévoyance qui renonce aux prestations d’une assurance complète pour entrer dans une institution collective pourra servir de meilleures prestations à ses affiliés.