Ce lecteur de la ville de Fribourg est tout déçu: en 2020, il achetait une Seat Arona, une voiture de tourisme fonctionnant au gaz naturel comprimé (GNC). Avantage du véhicule: l’impôt sur la plaque est réduit de 15% par rapport à celui qui serait facturé pour un modèle similaire fonctionnant à l’essence. Le canton a introduit cet avantage afin d’encourager l’achat de voitures contribuant à réduire les émissions de gaz à effet de serre.
L’inconvénient: il n’y aura bientôt plus d’endroit pour faire le plein dans le chef-lieu cantonal ni dans la région de Payerne. Les uniques pompes exploitées dans ces deux villes, celle de Tamoil à Granges-Paccot et celle de Coop dans la cité broyarde, doivent fermer à la fin de cette année. Du moins, c’est ce qu’a annoncé leur propriétaire, Groupe E, aux détenteurs de voitures à gaz fribourgeois par courrier en mai dernier.
Les conducteurs de tels véhicules de l’agglomération fribourgeoise ou de la Basse-Broye devront dès lors se rendre à Berne, Neuchâtel, Châtel-Saint-Denis ou Forel près d’Oron (VD) pour faire le plein, ce qui représente plusieurs dizaines de kilomètres à parcourir.
Le gaz reste bien présent
Dans sa lettre, Groupe E, détenu à plus de 80% par le canton de Fribourg, justifie sa décision par «le faible taux d’utilisation des stations». L’entreprise n’a pas voulu donner les résultats d’exploitation de ses deux pompes de GNC à notre rédaction. Impossible, par conséquent, de savoir si celle-ci est effectivement déficitaire ni dans quelle ampleur. L’entreprise indique seulement que les pompes sont exploitées par une filiale, Celsius.
Elle justifiait aussi sa décision par «la disparition graduelle de la flotte des véhicules GNC». A notre rédaction, elle ajoute que «les constructeurs de véhicules misent aujourd’hui sur les voitures électriques ou hybrides».
Toutefois, les statistiques de l’Office de la circulation et de la navigation montrent que les voitures à gaz naturel ne sont pas en voie de disparition dans le canton de Fribourg. En 2023, année pour laquelle les chiffres les plus récents sont disponibles, 278 voitures à GNC étaient immatriculées dans le canton, dont 95 dans le district de la Sarine, qui comprend le chef-lieu. Ces chiffres sont à peine inférieurs à ceux de 2020, qui ont marqué le pic du nombre de voitures à GNC en circulation: 283 pour le canton entier dont 101 dans le district de la Sarine.
Enfin, 78 nouvelles voitures à gaz ont été immatriculées dans le canton l’an dernier, dont 40 dans la Sarine. Ces chiffres s’inscrivent dans la moyenne des cinq dernières années. Même si la mobilité par le gaz est marginale, sa «disparition» n’est pas avérée pour le moment.
Renvois de responsabilité
L’entreprise voit-elle une contradiction entre sa décision de fermeture et les objectifs climatiques du canton? «Nous ne nous exprimons pas sur la politique du canton de Fribourg», répond-elle à notre rédaction. Et de préciser: «L’activité d’exploitation de stations GNC n’est pas un service public et Groupe E Celsius n’a ni d’obligation de fourniture de GNC, ni un monopole sur cette activité.»
L’Etat, actionnaire majoritaire de Groupe E, indique qu’il «n’était pas associé» à la décision de fermeture car «il n’intervient pas dans les décisions opérationnelles du Groupe», indique le porte-parole de la Direction de l’Economie. Il estime qu’«il s’agit d’une situation liée aux conditions du marché, entre deux acteurs privés».
De même, il ne voit pas de contradiction entre l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre mis en œuvre par la réduction de l’impôt sur les véhicules à gaz et la fermeture des deux pompes. «La disposition (fiscale, ndlr) n’intervient pas pour ce qui concerne la sécurité d’approvisionnement en carburant (ou en électricité), ni pour ce qui concerne la mise à disposition de véhicules spécifiques sur le marché. Ce n’est pas de sa responsabilité ni de sa compétence», poursuit le porte-parole.
Groupe E et l’Etat-actionnaire se renvoient donc la responsabilité de l’apparente contradiction de leurs politiques respectives. Toutefois, la décision de fermeture ne semble pas définitive. Une pétition lancée au printemps a recueilli quelque 3000 signatures avant d’être remise au Conseil d’Etat à la mi-juillet. Le porte-parole de la Direction de l’Economie dit: «Nous allons l’analyser et approfondir la question avec Groupe E.»