De nombreux lecteurs de toute la Suisse romande figurent parmi les créanciers obligataires de PrimeEnergy Cleantech, entreprise active dans l’immobilier et l’énergie photovoltaïque dont l’aéronaute Bertrand Piccard s’était fait l’ambassadeur. La société a été mise en faillite le 14 novembre dernier.
Une telle faillite fait courir aux créanciers obligataires le risque de perdre une grande partie de leur investissement, voire la totalité. Mais pour le savoir, ils doivent patienter: le tribunal compétent, à savoir le Tribunal cantonal de Bâle-Campagne doit d’abord dresser un état des lieux financiers de la société tombée en faillite. Cette tâche est compliquée par l’extension internationale de la société, présente notamment en Allemagne, au Luxembourg et en France.
En tout, l’encours de la dette obligataire de PrimeEnergy Cleantech se monte à 98,45 millions de francs, selon les comptes de l’année 2022.
Obligations peu contrôlées
Les détenteurs d’obligations sont des créanciers de la société. Ils lui ont avancé leur argent sur la base des prospectus d’émission que celle-ci avait émis. Ces obligations n’étaient pas cotées en bourse. Elles n’étaient donc pas soumises à la surveillance directe de la Finma (cf. article précédent).
Seuls les prospectus d’émission devaient faire l’objet d’un contrôle sur leur forme par SIX, organe de contrôle agréé par le gendarme de la finance. Or, les prospectus de PrimeEnergy Cleantech ne portent pas cette marque «de façon visible», contrairement à ce que stipule la réglementation.
Quelque 2000 créanciers sont affectés. Ainsi, un lecteur vaudois en détient huit, pour 80 000 fr. Un autre en avait acquis quatre, pour 40 000 fr. Sa PPE en avait acquis deux autres, pour 20 000 fr.
Les investisseurs avaient été attirés, selon leurs témoignages, par le but de la société, à savoir l’exploitation d’énergies renouvelables. Ils avaient aussi été intéressés par les rendements plutôt attractifs, entre 3% et 4% par an offerts par les obligations. Celles-ci, libellées par tranches de 10 000 fr., étaient le plus souvent émises pour une durée de cinq ans. Passé ce délai, elles étaient remboursées.
Promesses de l’actionnaire
Les premières inquiétudes se sont manifestées tout au début du mois d’octobre lorsque l’entreprise n’a pas payé, pour la première fois, les intérêts qu’elle devait à ses créanciers. Elles se sont confirmées à la mi-octobre lorsque les responsables ont annoncé leur intention de mettre l’entreprise en faillite.
Par conséquent, les créanciers se sont réunis et se sont organisés. Ils ont créé un groupe WhatsApp, une page Facebook, un site internet recueillant de la documentation et délivrant des conseils, afin d’intenter des démarches judiciaires au civil, voire au pénal.
Le principal actionnaire, l’entrepreneur bâlois Laurin Faeh, a promis, notamment à notre rédaction, «un remboursement adéquat des investissements pour les détenteurs d’obligations». Selon lui, «le groupe PrimeEnergy Cleantech dispose d’une substance importante».
Les comptes de la société présentent une situation différente. Le bilan se monte à 212,7 millions de francs au 31 décembre 2022. Les actifs tangibles (immobilier et installations photovoltaïques pour l’essentiel) représentent un peu plus de la moitié, 115,7 millions. Or, sur ce montant, 73 millions sont gagés auprès des banques créancières.
L’essentiel des autres actifs sont des prêts à l’actionnaire majoritaire Laurin Faeh pour 44,6 millions de francs. Soit via des sociétés immobilières ou énergétiques dont PrimeEnergy Cleantech ne possède pas plus de 50% du capital mais qu’il dirige (pour 29,1 millions de francs), soit directement, toujours selon les comptes 2022.
Moyennant quelle garantie? «PrimeEnergy Cleantech a conclu avec l’actionnaire un contrat de prêt avec des modalités de remboursement précises», a expliqué Laurin Faeh à notre rédaction. Les modalités ne sont pas détaillées.
Réviseur ambivalent
Toutefois, le réviseur, PricewaterhouseCoopers signalait dans son rapport sur les comptes 2022 qu’une avance directe de 19,5 millions de francs à l’actionnaire était «interdite» car le groupe faisait des pertes. PwC a néanmoins recommandé l’acceptation des comptes. Laurin Faeh assure que la conclusion de la garantie de l’actionnaire a légalisé ce prêt.
En tout, PrimeEnergy Cleantech était déjà très endettée à la fin 2022: elle devait 186,6 millions de francs à ses créanciers, dont ses créanciers obligataires. De plus, elle avait accumulé des pertes pour 26 millions de francs et la valeur des fonds propres était… négative pour presque 5 millions de francs.
Le réviseur PwC avait néanmoins recommandé l’approbation des comptes car «le flux de liquidités était positif», justifie Laurin Faeh. Ces comptes avaient été acceptés par les actionnaires en 2023 à une majorité de 93%.
Les créanciers de PrimeEnergy Cleantech ont donc prêté près de 100 millions de francs à la société, qui en a reprêté pas loin de la moitié à son principal actionnaire. Or, la société doit plus qu’elle ne possède. Ses actifs tangibles sont gagés pour deux tiers de leur valeur auprès des banques. Toutes ces données figuraient dans les comptes disponibles en 2023. Mais il fallait les lire et les comprendre.
Cet article actualise la version publiée sur le site monargentmag.ch le 29 octobre 2024 sous le titre «Grosses pertes personnelles en vue à cause d’une faillite»
Yves Genier