Surprise de ce lecteur vaudois au moment de réserver un créneau d’utilisation de la grue de levage des bateaux de son port de plaisance. Propriétaire depuis plusieurs décennies d’un voilier amarré au même endroit, il avait jusqu’alors assumé lui-même les diverses opérations de levage de son embarcation de plus d’une tonne sans qu’aucune règle de sécurité ne lui soit indiquée. Récemment, les règles se sont clairement durcies.
Désormais, la manipulation de la grue doit être assurée par un détenteur de permis de grue. Le port d’un casque, d’un gilet orange et de chaussures renforcées est obligatoire pour intervenir sur le bateau. Dans certains ports, la production d’une preuve de couverture d’assurance responsabilité civile est même exigée.
Ces exigences n’ont pas de base légale pour le moment. Mais cela va bientôt changer: l’Ordonnance fédérale sur les grues, entrée en vigueur à la fin des années 1990 pour encadrer, à l’époque, l’usage d’engins de chantier, vient juste d’être révisée. La nouvelle version entre en vigueur le 1er septembre. Elle exige désormais que la personne qui manipule une grue, ainsi que celle qui accroche les charges, soient au bénéfice d’une formation.» Cette révision est «même bien avancée», explique une juriste de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP). A tel point que la nouvelle version doit être «approuvée» par le Conseil fédéral» tout prochainement, «probablement vers fin juin» et son entrée en vigueur prévue le 1er septembre 2023.
Pourtant, au contraire des engins de levage de chantier, qui ont fait, et font encore parfois, des victimes, la dangerosité des opérations portuaires de loisir n’est pas avérée. La Suva (Caisse nationale d’assurances en cas d’accidents) n’est pas en mesure de produire la moindre statistique d’accidents survenus au moment de sortir un bateau de l’eau, de le nettoyer, de le repeindre et de le remettre à l’eau.
La seule statistique que la caisse cite est celle des accidents de sports estivaux pris au sens large. Les activités «aviron, bateau, voile», qui embrassent un large spectre de comportements susceptibles d’être à risque, arrivent au dixième rang. Elles sont moins dangereuses que le football, le vélo tout-terrain et les randonnées en montagne, notamment. Survenant 800 fois par an en moyenne pour un coût moyen par sinistre de 4000 fr., les coûts totaux des sports lacustres s’élèvent à 3,2 millions de francs par an en moyenne.
«Dangers particuliers»
L’Ordonnance fédérale sur les grues soumet donc dès le 1er septembre la manipulation d’une grue à l’obtention d’un permis au terme d’une formation ad hoc.. Elle ne mentionne toutefois pas explicitement les appareils de levage dans les ports. Mais comme elle s’applique à tous les appareils pouvant lever plus d’une tonne, elle s’applique en principe aux appareils portuaires. De nombreux ports n’ont pourtant pas appliqué cette prescription pendant des années.
Les autres obligations, comme le port du casque, n’ont jusqu’ici pas de base légale mais procèdent uniquement de l’application du principe de précaution. La SUVA «considère que le levage des charges au moyen d’une grue est un travail comportant des dangers particuliers». Mais sa documentation en matière de formation des grutiers se réfère aux engins de levage industriels activés à titre professionnel, dans des halles industrielles ou sur des chantiers. Pour les ports, un porte-parole de l’assureur considère que «par analogie, les mêmes contenus de formation pourraient s’appliquer aux utilisateurs privés».
Règles en ordre dispersé
Aussi, depuis des années, les autorités locales réglementent en ordre dispersé: a minima, comme à Port-Valais ou à Delley-Portalban (FR), qui renvoie la responsabilité des opérations aux utilisateurs, à l’encadrement strict, comme à Lausanne, qui exige la production du permis de grutier et de l’attestation d’assurance RC (et sa preuve de paiement), en plus du port «du casque et des chaussures sécurisées pour toutes les opérations de levage» (Genève exige le permis et l’assurance, mais se contente d’une déclaration sur l’honneur pour cette dernière).
Ce n’est ordinairement pas la SUVA qui prend en charge les accidents de grutage. Mais ses règles servent de référence aux assureurs privés. Or, ces derniers «pourraient demander des compléments d’information concernant le déroulement de l’accident pour comprendre si la victime a commis une négligence grave, un délit, une entreprise téméraire», explique le porte-parole de la Caisse nationale d’assurance.
Cette marge de manœuvre laissée aux ports a-t-elle été jugée excessive par les assureurs? La réponse réside dans une réglementation renforcée.