Jules, personnage fictif, part à la retraite ce printemps. Il fait ses calculs en prévision de sa vie à venir: même en additionnant sa future rente AVS à celle promise par sa caisse de pension, son revenu sera divisé par deux, ou à peu près. Il recevra donc clairement moins que les 60% du dernier revenu du travail régulièrement articulés par des compagnies d’assurance sur la vie comme Swiss Life et Pax dans leurs publicités.
Jules est le portrait-robot de la personne active en Suisse qui s’apprête à raccrocher définitivement ses vêtements de travail. Il gagne le revenu médian, 79 980 fr. (chiffres de 2020). S’il est célibataire, il touchera une rente AVS de 25 404 fr. pour la première année.
S’il est marié, le salaire de son conjoint élève le revenu du couple à 117 468 fr., à la médiane des ménages suisses. La rente du couple se montera à 41 172 fr. La moitié de cette rente de couple atteindra donc 20 586 fr. Tous ces chiffres sont établis par le calculateur AVS Escal, tenu par le Centre d’information AVS.
Grands écarts entre caisses
C’est donc sur sa caisse de pension qu’il compte pour faire l’appoint afin de «maintenir de manière appropriée son niveau de vie antérieur», comme le stipule l’article 113 de la Constitution fédérale. Or, il constate que de grandes différences existent selon les institutions de prévoyance (voir les tableaux ci-dessus).
S’il a eu la chance de cotiser auprès d’une caisse vraiment généreuse, il peut espérer toucher une rente annuelle de 24 500 fr. Mais ces caisses sont peu nombreuses. Dans la plupart des cas, sa rente annuelle avoisinera plutôt 20 000 ou 21 000 fr. Et s’il n’a vraiment pas de chance et qu’il a cotisé à une institution pingre, sa rente avoisinera 19 000 fr., peut-être même moins.
Lorsqu’il additionne la rente du 1er pilier, c’est-à-dire son AVS, et celle du 2e pilier, c’est-à-dire sa caisse de pension, le total avoisine donc 45 000 s’il est marié et même 49 900 fr. s’il est célibataire, si sa caisse est très généreuse. Son revenu à la retraite atteindra donc le fameux seuil de 60% de son revenu de personne active promis par les assureurs et le système de retraite, 47 988 fr. dans son cas.
Mais dans le cas contraire, sa rente sera inférieure à 45 000 fr. s’il est célibataire, et même de moins de 40 000 fr. s’il est marié. La différence, d’un extrême à l’autre, est supérieure à 10 000 fr. par an, 25% d’écart.
Par mois, cela donne les rentes totales suivantes: plus de 3700 fr. s’il est marié et plus de 4000 fr. s’il est célibataire et a une très bonne caisse. Ou, à l’opposé, moins de 3700 fr. s’il vit seul, et même moins de 3300 fr. s’il est marié. De tels niveaux de rentes justifient le recours aux prestations complémentaires.
Les généreux face aux pingres
D’où viennent ces différences? Au contraire de l’AVS, qui distribue une rente basée essentiellement sur le salaire assuré multiplié par le nombre d’années de cotisations, les caisses de pension calculent leurs prestations selon de nombreux critères qui ne sont pas forcément en lien avec les sommes que Jules a cotisées tout au long de sa vie.
Mais deux éléments sont particulièrement importants: la rémunération des avoirs vieillesse et le taux de conversion.
La rémunération des avoirs est payée par les rendements des placements de la caisse auprès des marchés financiers. Elle est ce fameux «troisième cotisant», qui alimente l’avoir de chaque affilié, en plus des cotisations des salariés et de leurs employeurs. La contribution de cette rémunération se monte à plusieurs dizaines de milliers de francs sur une carrière, voire davantage. Le taux de rémunération est décidé par chaque caisse de pension à la fin de chaque année.
Or, cette rémunération est très variable selon les caisses. D’une année à l’autre, elle peut se limiter au minimum légal (1,25% depuis le 1er janvier 2024) ou être bien supérieure. Une caisse a même servi une rémunération de 8%: c’était l’institution collective Profond en 2021. D’autres n’ont servi que le strict minimum, à l’instar de l’assurance Pax. Sur dix ans, la moyenne des rémunérations annuelles s’échelonne de 0,82% pour la plus pingre à 3,19% pour la plus généreuse.
En francs, sur la période entre 2014 et 2022, la différence est de taille: 13 536 fr. pour la caisse la plus pingre, 52 677 fr. pour la plus généreuse, qui verse donc près de quatre fois plus, pour un revenu annuel de 79 980 fr. D’où l’importance de choisir une caisse qui redistribue ses rendements à ses affiliés au lieu de les garder pour elle-même.
Le taux de conversion est la clé de calcul pour convertir le capital accumulé pendant une carrière en rente annuelle. Il est fixé à 6,8% par la loi, ce qui signifie que pour un avoir de 100 000 fr., la rente sera de 6800 fr. Mais cette règle ne s’applique qu’au minimum légal. Or, les caisses prélèvent généralement des cotisations supérieures à ce minimum et rémunèrent les avoirs à des taux généralement plus élevés: elles ont donc permis à leurs affiliés d’amasser des avoirs supérieurs au minimum. Ces avoirs excédentaires, dits surobligatoires, ne sont pas soumis aux minima légaux. Ils sont donc convertis à des taux moindres, aux alentours de 5%. Ce chiffre est fixé par chaque caisse.
Différence de mille francs
Par convention, l’on estime qu’un avoir de 2e pilier est constitué de 60% d’avoir obligatoire et de 40% de surobligatoire. La moyenne des taux de conversion obligatoire (6,8%) et surobligatoire (environ 5%) en fonction de cette clé donne le taux de conversion effectif sur la totalité de l’avoir. Plus ce taux est élevé, plus la rente sera haute. Au contraire, un taux bas donne une rente modeste.
Certaines caisses parviennent à convertir la totalité des avoirs au taux de 6,8%, voire, même, dans certains cas, davantage. La plupart appliquent des taux de conversion inférieurs, aux alentours de 5,8%. En francs, pour une tranche de 100 000 fr., la différence sera donc de 1000 fr.
Le paradis du retraité, c’est donc d’être affilié à une caisse qui rémunère généreusement les avoirs, qu’elle convertit à un taux élevé. L’enfer, c’est juste le contraire: une caisse pingre en matière de rémunération et convertissant les avoirs à un taux bas.
Conseils
- Si vous êtes salarié: intéressez-vous aux projections d’avoirs à la retraite figurant sur le certificat de prévoyance qui vous est remis tous les six mois. Insistez auprès du conseil de fondation de votre caisse de pension ainsi qu’auprès de votre employeur pour améliorer le plan de prévoyance. Allez travailler dans une entreprise offrant les plans de prévoyance les plus généreux: bonne rémunération des avoirs et taux de conversion élevé.
- Si vous êtes indépendant: comparez les plans de prévoyance avant de signer. Un plan organisé par une assurance sera ordinairement moins généreux qu’un plan organisé par une caisse collective.
- Si vous êtes employeur: choisissez une institution généreuse: disposer d’une bonne prévoyance pour le personnel est un atout pour embaucher et retenir les talents. De plus, les institutions collectives ne sont pas moins sûres que les prestations des assurances, qui sont ordinairement moins généreuses.