Impossible de freiner Irenka Krone-Germann quand on parle de partage du travail. Concilier famille et métier, n’est-ce pas idéal? Avec près de 60% des femmes actives à temps partiel, la Suisse est deuxième en Europe dans ce domaine après les Pays-Bas.
La Fribourgeoise, qui a concilié une carrière météoritique avec une charge de famille, met toutefois en garde. Alors qu’il y a aujourd’hui davantage de femmes que d’hommes à passer la maturité fédérale, elles n’occupent qu’un poste de direction sur dix. Le constat est sans appel: un pourcentage réduit débouche sur des responsabilités moindres, un salaire plus bas, et finalement, une retraite au rabais. En comparaison, 18% des hommes seulement diminuent leur taux d’occupation.
Pour une répartition équitable, hommes et femmes doivent trouver leur place avec un salaire adéquat, et ce, même à temps partiel.
Missions, engagements, famille
La mère de famille parle d’expérience: l’économiste entrepreneuse aime trop son métier pour n’avoir jamais envisagé de le mettre entre parenthèses. A 25 ans, le rideau de fer vient de tomber et elle décroche un poste à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). La jeune femme multiplie les contacts avec les pays de l’Est pour leur ouvrir l’accès au marché mondial: c’est passionnant.
Après un diplôme postgrade à Berkeley (Californie) où sa première fille voit le jour, elle rejoint la promotion économique au SECO. Cap cette fois vers le Japon et l’Inde: il s’agit d’attirer en Suisse des firmes high-tech pour y créer des emplois. La famille compte maintenant trois enfants, Irenka Krone-Germann jongle avec les contrats à temps partiel et le bénévolat associatif. Après chaque congé maternité, même si elle fait tout pour rester dans le coup, il faut refaire sa place à Berne: de quoi se poser des questions.
Pour tenter d’y répondre, la mère de famille se tourne vers la recherche. Yves Flückiger, alors professeur à l’Université de Genève, accepte de lui confier une thèse de doctorat sur les défis du travail à temps partiel en Suisse. Elle empoigne le sujet avec passion tout en gardant son poste au SECO et passe ses week-ends à modéliser des statistiques, en partageant les tâches familiales avec son époux. Le diagnostic de la recherche, qu’elle a la fierté de publier, est sans pitié: le temps partiel limite la progression professionnelle et salariale. Par ricochet, il péjore drastiquement la retraite.
Un emploi pour deux
Irenka Krone-Germann voit plus clair désormais. Elle retourne dans la coopération internationale au SECO en partageant cette fois la responsabilité des programmes avec sa collègue Anne de Chambrier: c’est le début de son aventure dans le job sharing (ou partage de poste).
De nouveaux projets voient le jour. Par exemple, promouvoir la mode éthique, en créant un pont entre les exigences du Nord et la créativité colorée du Sud. Une collection issue de tissus du Ghana et du Burkina Faso participe à la semaine de Milan. En 2013, dans le sillage du printemps arabe, elle emmène sa famille dans les terres berbères de Tunisie. Au retour, le duo propose un concept de développement touristique et d’aide contre la pauvreté dans la région.
En 2013, elles approchent le Bureau fédéral de l’égalité avec une nouvelle idée: encourager le partage de poste. C’est le début de l’association à but non lucratif Part-Time Optimisation (PTO), go-for-jobsharing.ch. Les complices en assument la direction à quatre mains, évidemment.
Fortes de leur expérience, elles mettent sur pied un programme de coaching et d’ateliers. Les mandats s’enchaînent. Comment postuler en binôme, comment se répartir les tâches, comment faire circuler l’information? Une dizaine d’experts consultants participent désormais à PTO. Cinq plus tard, Irenka Krone-Germann développe wejobshare.ch, une start-up qui permet de trouver rapidement un partenaire pour postuler à deux.
Elle garde en parallèle son emploi salarié, fière de son statut de «slasheuse», ou multi-entrepreneuse. Et travaille depuis 2018 pour Cinfo en top sharing (partage de responsabilités) avec Nina Prochazka.
Elle prendra la tête de ce centre de compétences et formation pour les futurs coopérants l’an prochain. Toujours en partage de poste mais avec, cette fois, son collègue masculin Urs Stauffer.
Claire Houriet Rime
Le salaire adéquat
Irenka Krone-Germann a contribué au financement de ses études en travaillant dès l’adolescence; elle est convaincue que tout le monde a ses chances. Elle recommande aux jeunes femmes de faire leurs calculs à 25 ans déjà pour les 20 années à venir plutôt que de céder du terrain dès qu’elles ont un diplôme en poche: la première négociation a lieu au sein du couple. Et de ne jamais cesser de travailler. Les experts de la prévoyance préconisent ainsi un pourcentage moyen de 70% sur la durée de la carrière pour ne pas être en situation précaire à la retraite.
Motivée avant tout par sa passion, l’économiste revendique toutefois un salaire adéquat selon l’âge, la fonction, les compétences et l’expérience. «Il faut bien se renseigner avant d’aller à un entretien d’embauche: si on accepte tout de suite vos prétentions salariales, elles étaient sans doute trop basses!»