Plusieurs jeunes entreprises suisses non cotées en bourse ont récemment mis leurs actions sur le marché. Avec une spécificité: ces titres sont purement numériques. Ce sont des jetons d’investissement négociés via une chaîne de blocs. Cette méthode diffère de celle, traditionnelle, de la mise en bourse via le système bancaire traditionnel. Nommé «tokénisation», ce système de mise en bourse purement électronique est parfaitement légal. Il est soumis à la surveillance de la Finma.
Parmi les entreprises helvétiques qui ont tokénisé leurs actions avant de les proposer au public sur une blockchain se trouvent la plate-forme de financement participatif Wemakeit, la néobanque Neon ou encore le magasin de denrées alimentaires biologiques Farmy. Ces sociétés ont deux arguments de vente principaux: la modernité du processus et le recours à une plate-forme de négoce, ou bourse numérique.
Nouvelle technologie, vieux modèle
Les jetons d’investissement sont comme les actions d’une entreprise, des titres de propriété correspondant à une fraction de la valeur de la société. Il est donc possible d’en acheter et d’en vendre comme on le fait avec une action ordinaire. La différence réside dans le fait que le titre n’est pas déposé auprès d’une banque mais d’une chaîne de blocs.
Celle-ci est une base de données gérée par d’innombrables ordinateurs répartis dans le monde entier. Reliés entre eux, ils transfèrent les informations de façon sécurisée afin que les transactions enregistrées soient univoques, immuables, transparentes et infalsifiables.
Les titres sont accessibles par un programme sur ordinateur ou téléphone portable nommé «wallet» (ou portefeuille électronique), tout comme les cryptomonnaies à l’instar du bitcoin. C’est par le wallet que ces titres peuvent être achetés et vendus.
La seule bourse spécialisée dans les jetons numériques soumise à une surveillance de la Finma est SDX, une filiale de SIX, l’exploitant de la Bourse suisse. Fondée en 2018, cette plate-forme permet aussi le négoce d’obligations tokénisées. Ses transactions s’effectuent en francs suisses et en euros.
Plutôt que d’accorder un accès direct aux investisseurs individuels, SDX n’est ouverte qu’aux banques comme UBS, de grandes banques cantonales et de plus petits établissements comme la Banque hypothécaire de Lenzbourg, exploitant de la néobanque Neon. Elles s’imposent donc comme les intermédiaires incontournables entre les investisseurs et la plate-forme de négoce.
SDX n’est pas seulement une bourse réglementée, elle est aussi un dépositaire central. La technologie de la blockchain permet des gains d’efficacité considérables: le règlement des transactions passe directement d’une banque à l’autre sur la blockchain.
Ce fonctionnement est beaucoup plus léger que celui d’une bourse traditionnelle. Celle-ci exige en effet qu’une transaction passe d’abord par SIX. Celle-ci s’adresse à une contrepartie centrale, la Six x-Clear, qui veille à ce que la livraison soit effectuée. Ce n’est que deux jours après la clôture du négoce que les actions et les paiements sont finalement livrés. Chez SDX, tout est instantané.
Autre différence: la forme juridique. L’action est un titre physique. Sa forme électronique est un droit-valeur. Le jeton d’investissement, enfin, est un droit de valeur de registre, enregistré sur la blockchain. Les droits de propriété ne sont pas affectés par ces différences: une action, un droit et un jeton demeurent la propriété de leur détenteur et ne sont pas basculés dans la masse en faillite si la banque dépositaire défaille.
Lien direct avec les investisseurs
D’autres plates-formes de négoce permettent d’échanger des titres: Mt Pelerin, Aktionariat AG ou Daura AG. Elles ne sont pas des bourses réglementées et les exigences réglementaires auxquelles elles sont soumises sont moins strictes que SDX. Les entreprises qui tokénisent leurs actions par leur intermédiaire ne doivent pas se soumettre à des contrôles de diligence raisonnable aussi stricts que si elles tokénisaient leurs actions auprès de SDX.
Mais contrairement à SDX, l’investisseur individuel peut négocier directement sur ces plates-formes. Cela comporte toutefois des risques supplémentaires. Par exemple, le client est responsable de la gestion de sa clé de sécurité privée dans son propre portefeuille. La perte de la clé de sécurité privée peut, dans le pire des cas, entraîner la perte totale des actions. En tant que client d’une banque, cela ne serait pas possible en négociant via SDX.
De plus, les actions qui y sont négociées ne peuvent actuellement pas l’être sur SDX. L’achat de telles actions tokénisées sur ces plates-formes n’est donc rien d’autre qu’un placement privé avec les risques que cela comporte.
Christian Bütikofer / yg
Plates-formes de négoce
Les jetons numériques d’investissement peuvent être acquis et vendus sur les plates-formes suivantes:
- Sdx.com: la filiale numérique de la Bourse suisse.
- Mtpelerin.com: plate-forme basée à Genève, proche des banques privées.
- Sygnum.com: service de la banque zurichoise Sygnum, spécialisée dans les cryptoactifs.
- Aktionariat.com: plate-forme soutenue par la Bourse suisse et la Banque hypothécaire de Lenzbourg.
- Daura.ch: plate-forme conjointe de Sygnum, la Banque cantonale de Berne, SIX et des investisseurs privés.