Un lecteur fribourgeois avait mis de côté une grosse somme afin de la donner à ses enfants et petits-enfants dans le futur. Les économies de toute une vie.
Il découvre sur Facebook une publicité pour des investissements sur une plate-forme spécialisée dans les cryptomonnaies, nommée ETH Profits. Il décide de s’y inscrire.
Il avance une première somme à titre de frais d’inscription. Un «courtier» d’ETH Profits le contacte rapidement par téléphone et le met en confiance concernant les modalités d’investissements, de gains, et de retraits. Il place une somme modeste. Mais cette première expérience aboutit à des pertes conséquentes.
Le «conseiller» lui explique alors que les prochains jours seront propices à un gain extraordinaire. Il convainc alors sa victime de lui remettre tous ses avoirs disponibles. Notre lecteur transfère ainsi environ 100 000 fr. vers la plate-forme.
Fonds devenus indisponibles
Le gain affiché par ETH à la suite de cet investissement était d’environ 130 000 fr.
Lorsque le lecteur a voulu s’arrêter et retirer ce qui était disponible, l’escroc lui a demandé encore 39 000 fr. à titre de frais, qu’il a versés. Puis il exige encore d’autres paiements, toujours présentés comme des taxes. Et toujours aucune possibilité de retrait. C’est alors que notre lecteur comprend son erreur.
Il avise une autre publicité sur Facebook, qui le renvoie vers une seconde plate-forme d’investissements dans des cryptomonnaies, nommée GMT Investments. Le même processus de mise en confiance se répète. Le lecteur va jusqu’à confier à son nouveau «conseiller» les difficultés rencontrées chez ETH.
Ce dernier le persuade alors de verser les sommes exigées par ETH pour les retraits à GMT. Une fois l’argent versé, plus personne ne répond à ses demandes de retrait. Le lecteur insiste auprès de son «conseiller». Ce dernier lui propose un retour de 2000 fr. en recevant un code par SMS. Mais une fois le code transmis, aucun argent n’est versé au lecteur. Au contraire: on lui débite encore 2 fois 2000 euros.
Pire: les «courtiers» de GMT Investments ont directement prélevé les fonds sur le compte de leur victime en prenant le contrôle de son ordinateur à distance. C’est environ 50 000 fr. qui ont encore été volés. Coût total de ces escroqueries: environ 300 000 fr., une somme purement envolée.
La plate-forme GMT Investments est aujourd’hui désactivée, et l’argent volé a été transmis sur le compte d’une banque allemande dont la police fribourgeoise, contactée par notre lecteur, n’a pu retrouver les détenteurs.
En revanche, ETH Profits est toujours en ligne. Cette plate-forme, qui prétend avoir son siège à Londres, n’est en fait enregistrée auprès d’aucun registre du commerce. Elle est d’ailleurs présentée comme entreprise non autorisée par la Financial Conduct Authority (FCA), le gendarme financier britannique.
Et que sont devenus les fonds qui y étaient déposés? Ils ne sont pas arrivés dans une banque classique mais sur des plates-formes de négoce de cryptomonnaie légales. La police fribourgeoise a pu retrouver les wallets («portefeuilles» virtuels) mais n’a pas pu en identifier les détenteurs. Elle a donc classé la plainte.
Notre rédaction a tenté d’entrer en contact avec GMT Investments et ETH Profits, sans succès. Les noms des personnes de contact sont faux et leurs courriels caducs.
Traquer, identifier, poursuivre
Face à l’incapacité de la police de retrouver les escrocs, notre lecteur décide de faire appel à une entreprise spécialisée dans le recouvrement de fonds volés.
Son choix se porte sur la société Broker Defense, basée à Tours, dans l’ouest de la France. Cette entreprise s’appuie sur un réseau d’avocats internationaux aidés de spécialistes du traitement de données et d’informaticiens. Ces experts cherchent à retracer les transactions financières dans les chaînes de blocs (blockchain) afin d’identifier et de récupérer les fonds volés.
Les fonds détournés par des malversations sur les cryptomonnaies se retrouvent souvent sur des plates-formes de négoce de cryptomonnaies légales et établies telles que Binance, Coinbase ou encore OKEX. C’est auprès d’elles que l’on peut espérer récupérer l’argent dérobé.
En première étape, Broker Defense tente de négocier à l’amiable la restitution des fonds avec les plates-formes concernées. En cas d’échec, Broker Defense recourt à la voie judiciaire. Celle-ci peut prendre plusieurs années avant que des jugements soient rendus. Dans cette seconde option, Broker Defense doit s’adresser à la justice du pays de la plate-forme concernée.
Marc Bouzy, le directeur, explique: «Les meilleures chances de succès ont lieu quand un service de police instruit une enquête et que nous arrivons suffisamment tôt pour obtenir un blocage des fonds avant qu’ils ne soient retirés.»
Olivier Depierre, avocat spécialiste des cryptomonnaies, précise: «Les plates-formes d’échanges sont tenues de vérifier avec qui elles traitent (notion de «KYI», soit le know your intermediary), et également où va l’argent. En cas de transactions avec des entités frauduleuses, les plates-formes d’échanges pourraient être tenues pénalement responsables des pertes endurées, via le mécanisme de la responsabilité pénale de l’entreprise, au sens de l’article 102 du Code pénal suisse.»
Broker Defense ne récupère généralement pas la totalité des fonds volés. Néanmoins, la firme a réussi à récupérer l’entièreté des fonds dans les deux affaires de vols de cryptomonnaies qui lui ont été soumis. «Une perspective encourageante», selon Marc Bouzy.
Le prix du recouvrement
Si le premier entretien téléphonique est gratuit, les forfaits s’échelonnent ensuite de 490 à 1800 euros (soit d’environ 465 fr. à 1720 fr.) selon les montants volés et la nature du vol. L’entreprise conserve 20% des fonds recouvrés dans le cadre d’une récupération à l’amiable. Ce pourcentage peut descendre à 10 ou 15% lorsque la justice civile ou pénale doit être saisie afin de compenser, partiellement au moins, les frais d’avocat que le client devra payer en plus.
Dans le cas de notre lecteur, les négociations sont en cours entre les avocats de Broker Defense et les plates-formes d’échanges.
Notre rédaction n’a pas trouvé d’équivalent suisse à Broker Defense, qui fait pour l’instant figure de précurseurs.
Olivia Schmidely
Comment ne pas se faire avoir
Le Centre national pour la cybersécurité (NCSC) publie sur son site un guide de prévention de la fraude à l’investissement: https://www.ncsc.admin.ch/ncsc/fr/home/cyberbedrohungen/investmentbetrug.html. Le Centre conseille d’adopter les comportements suivants avant de placer le moindre sou dans une plate-forme de négoce de cryptomonnaie:
- Ne laissez jamais les vendeurs vous mettre sous pression.
- Plus le rendement promis est important, plus le risque est élevé.
- Vérifiez si le prestataire de services financiers est autorisé par l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (Finma): https://www.finma.ch/fr/finma-public/etablissements-personnes-et-produits-autorises/
- Faites preuve d’une prudence particulière à l’égard des prestataires de services financiers qui ne sont pas autorisés. Consultez les avis des internautes. La Finma tient également une liste noire non exhaustive: https://www.finma.ch/fr/finma-public/liste-d’alerte/
De manière générale, bien vérifier qui exploite une plate-forme d’échange avant de faire quoi que ce soit: nom, adresse, numéro de téléphone, siège social. Prenez le temps de faire vos recherches au préalable. Au besoin, faites-vous aider.
Les arnaques aux recouvrements
Parallèlement aux arnaques pratiquées sur les fausses plates-formes de cryptoactifs, il existe aussi le risque des fausses sociétés de recouvrement de ces fonds volés. Faites attention:
- Aux promesses un peu trop belles pour être vraies.
- Aux entités qui vous contactent sans que vous ne les ayez sollicitées.
- Aux entités qui promettent de récupérer les fonds par «piratage».
- Aux «groupes de victimes» d’une arnaque: ce sont souvent les mêmes escrocs qui volent d’une main et qui prétendent redonner d’une autre.
Ces arnaqueurs utilisent souvent des messageries telles que WhatsApp, Signal ou encore Telegram. Il faut aussi avoir une méfiance particulière envers les numéros +44, ceux du Royaume-Uni.