Vous voulez investir vos économies dans des placements «verts» pour le bien de la société et de la planète. Et vous avez décidé de choisir vous-même sans passer par les conseils d’une banque. Facile: le choix est vaste sur les sites internet des banques.
Bonne nouvelle: l’offre de fonds de placement «ESG» (environnement, social et gouvernance), dits aussi «verts, «durables» ou «responsables», est en croissance. Mauvaise nouvelle: les probabilités que ces fonds soient aussi investis dans des activités en contradiction à cet objectif demeurent encore bien trop nombreuses.
1. Trois exemples de cas intrigants
Le fonds Swisscanto (LU) Equity Fund Responsible Europe Top Dividend CA (ISIN: LU2040176112) s’adresse aux investisseurs qui «préfèrent un profil ESG attractif». Toutefois, il contenait dans son portefeuille, le 31 août dernier, deux grandes sociétés fortement émettrices de gaz à effet de serre: le pétrolier Shell (la position la plus importante, avec 4,79% du fonds) et le numéro deux mondial de l’extraction de charbon Rio Tinto (6e position avec 2,85% du fonds).
Le fonds Credit Suisse European Dividend Value Fund FA EUR (ISIN: LU2194269929), qualifié par la banque d’«ESG Integration – ESG aware», détenait, toujours le 31 août dernier, des actions du pétrolier français TotalEnergies (4,7% du fonds en 7e position) et du distributeur de gaz espagnol Iberdrola (4,5% du fonds, 9e position).
Le fonds Pictet Europe Index – IS EUR (ISIN: LU0328683049), dont l’objectif prévoit d’investir dans «toute entreprise ayant un profil ESG», détenait, là encore le 31 août dernier, des actions du pétrolier Shell (1,62% du fonds, 8e position).
Comment de telles entreprises, manifestement pas «durables» au sens où leurs activités contribuent de manière importante au dérèglement climatique, se retrouvent-elles dans des produits de placement qui visent précisément la neutralité carbone?
2. Il y a «fonds vert» et «fonds vert»
Il y a neuf manières de placer son argent dans des fonds «verts», selon Swiss Sustainable Finance (SSF), l’organisation qui organise et promeut cette activité (voir encadré). La plus simple, la stratégie d’exclusion, écarte toutes les entreprises actives dans des secteurs indésirables (tabac, énergies fossiles, armement, etc.). La plus radicale, l’impact investing, vise à améliorer directement le cadre de vie des gens (exemple: soutenir une coopérative minière péruvienne afin qu’elle puisse ériger une école).
Certaines de ces approches excluent tout placement dans des entreprises problématiques. D’autres les tolèrent au motif d’encourager de l’intérieur les entreprises concernées à accroître leur durabilité.
Cet «engagement», comme il est nommé, se mesure aux prises de position du représentant du fonds aux assemblées générales des actionnaires («stewardship»), lesquelles sont publiées sur les sites internet des fonds ou de leurs banques dépositaires. Le plus souvent, ces votes révèlent une adhésion à pratiquement toutes les recommandations du conseil d’administration. Les exceptions sont le refus éventuel de la réélection d’un administrateur ou le soutien à une résolution d’actionnaires visant à un meilleur respect des objectifs climatiques.
Les responsables des fonds peuvent aussi tenter d’infléchir directement une direction d’entreprise grâce au poids que peut leur conférer leur participation au capital, surtout s’il est élevé. Mais ces interventions sont difficiles, voire impossibles à retracer.
Malheureusement, les fonds ne se réfèrent pas systématiquement à ces appellations, mais plutôt aux notations faites par la centaine d’agences actives dans le monde (voir encadré). Swissquote s’appuie ainsi sur les données de Refinitiv (ex-Thomson-Reuters). A l’inverse, UBS «applique sa stratégie» et «s’approvisionne auprès de plusieurs fournisseurs» de données, mais «n’emploie pas d’agence de notation».
3. Des règles européennes plus exigeantes que les règles suisses
L’Union européenne s’est dotée d’une loi précisant très concrètement les contours d’un fonds «vert», le «Règlement sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers», mieux connu sous son acronyme anglais de SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation). Trois articles sont particulièrement importants pour l’investisseur. Ces articles disent à quel niveau le fonds est effectivement durable.
Le SFDR s’applique à tous les fonds de placement enregistrés dans un pays de l’UE, dont le Luxembourg et l’Irlande, deux centres de gestion de ces produits financiers.
- Article 6: Le fonds ne vise pas particulièrement une approche durable. Il doit néanmoins décrire dans quelle mesure les risques en matière de durabilité peuvent affecter leurs placements (exemple: un fonds investi dans les énergies fossiles subira les contrecoups de la baisse des ventes de ces énergies en cas de neutralité carbone).
- Article 8: Le fonds vise des objectifs durables sans que ceux-ci n’en soient les plus importants. Il doit par conséquent expliquer les objectifs qu’il poursuit et comment il y parvient.
- Article 9: Le fonds axe sa stratégie sur des objectifs de durabilité. Il doit expliquer comment il y parvient: soit en indiquant l’indice de référence suivi, soit en explicitant sa méthode.
Dans tous les cas, les fonds doivent tenir à jour sur leur site internet les informations sur la durabilité «de façon exacte, loyale, claire, non trompeuse, simple et concise».
Concrètement, les fonds indiquent sur leur documentation s’ils sont «article 6», «article 8» ou «article 9». Certains le font clairement, d’autres l’indiquent dans les annexes en petites lettres. A l’investisseur, par conséquent, de chercher l’information et d’en comprendre les implications.
4. Des règles suisses plus souples
Pas de loi en Suisse pour définir ce qu’est la finance durable. Les règles applicables sont définies par la Finma – le gendarme des services financiers – et par les acteurs eux-mêmes: l’Association suisse des banquiers (Swissbanking) et l’Asset Management Association (AMAS), en collaboration avec SSF. Elles sont plus souples que les règles européennes.
La Finma interdit l’usage de mots évoquant la durabilité d’un produit de placement si ce dernier n’en applique pas les principes. En clair: un fonds ne peut pas être désigné comme «vert» s’il ne l’est pas. Le fonds doit donc expliciter en quoi il est «vert», «durable», «responsable» ou «ESG». Ces explications doivent figurer dans le rapport annuel du fonds de placement, au moins.
Ces règles n’obligent pas les banques à caractériser les fonds selon leurs objectifs de durabilité, ni de mettre les informations à jour sans délai sur les sites internet, contrairement à la réglementation européenne. Cette réglementation s’applique aux fonds gérés en Suisse et destinés à n’être vendus qu’en Suisse. Si les banques veulent vendre leurs fonds à des clients européens, elles doivent appliquer les règles européennes même s’ils sont enregistrés en Suisse.
Conclusion
Les trois fonds exposés en début d’article sont enregistrés au Luxembourg, comme l’indique le préfixe «LU» de leur numéro ISIN. Ils sont par conséquent soumis au droit européen.
Le fonds Pictet affiche clairement qu’il applique l’article 6 du SFDR: il ne vise par conséquent pas un objectif de durabilité. La mention des risques dus à cette stratégie est néanmoins très discrète. La présence de compagnies pétrolières n’est donc pas interdite.
Le fonds Swisscanto indique se soumettre à l’article 8 du SFDR et indique que «les critères ESG sont systématiquement pris en compte lors de la sélection d’au moins deux tiers des investissements». Reste donc un tiers du portefeuille disponible pour des émetteurs de gaz à effet de serre.
Le fonds Credit Suisse se réfère aussi à l’article 8 du SFDR. La présence de TotalEnergies est justifiée par le qualificatif «évite de nuire» et celle d’Iberdrola par «ESG conscient».
Les banques distributrices de ces fonds s’appuient elles aussi sur les notes établies par des agences spécialisées aux méthodes d’analyse différant parfois fortement les unes des autres (voir encadré).
Yves Genier
Conseils
Examinez les principales positions du fonds. Si elles contiennent une société dans laquelle vous ne voulez pas investir, renoncez à placer votre argent dans ce produit et choisissez-en un autre. Par ailleurs, voici les questions à se poser avant de choisir un fonds ou un ETF «vert»:
- Le fonds ou l’ETF est-il qualifié «ESG», «durable» ou «responsable»?
- Si oui, par qui et selon quel(s) critère(s)?
- Quelle est l’approche du fonds ou de l’ETF («exclusion», «meilleur de classe», «impact», etc.)?
- Le fonds ou l’ETF est-il domicilié en Suisse ou dans un pays de l’UE?
- La performance du fonds ou de l’ETF est-elle au moins équivalente à celle d’un fonds similaire mais pas «vert»?
- Les frais de gestion sont-ils plus élevés que ceux d’un fonds ordinaire?
Différentes approches
L’association Swiss Sustainable Finance («Finance durable suisse», SSF) divise les méthodes de placements dans des actifs durables selon neuf approches:
- Exclusion Les sociétés actives dans des domaines indésirables sont écartées du portefeuille du fonds.
- Intégration Le gérant du fonds intègre les critères de durabilité dans sa stratégie, ce qui ne l’oblige pas à écarter des sociétés aux activités peu durables.
- Dialogue Le gérant du fonds a pour tâche de convaincre les dirigeants des sociétés investies à être plus durables.
- Filtrage fondé sur des normes Le gérant peut accepter des sociétés aux activités indésirables dans la mesure où elles sont peu nombreuses, ou leurs activités indésirables sont peu importantes.
- Vote fondé sur des critères ESG L’exercice du vote se fonde systématiquement sur les critères de durabilité.
- Alignement sur les objectifs climatiques Investir dans les entreprises qui s’alignent sur les objectifs internationaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
- Investissements thématiques durables Investissements dans des sociétés qui s’engagent dans un ou plusieurs objectifs de durabilité
- «Best in class» («meilleur de la classe») Investir dans les entreprises, tous secteurs confondus, qui font les plus grands efforts pour devenir plus durables.
- Impact Investissements destinés à améliorer directement et concrètement la vie des gens.
Différentes approches peuvent être combinées dans un même fonds.
Les banques concernées répondent
UBS, responsable désormais du fonds Credit Suisse «European Dividend Value», explique la présence de TotalEnergies et d’Iberdrola dans le portefeuille par le fait qu’elles se sont engagées à atteindre la neutralité carbone, et qu’elles ont pris des mesures qui rendent cette transformation crédible.
La Banque cantonale de Zurich, responsable des fonds Swisscanto, explique qu’elle fait la différence entre les fonds qualifiés de «responsables» et «durables». Le fonds «Equity Fund Responsible Europe», qui répond à la première approche, tolère les entreprises qui ont adopté une stratégie de réduction des gaz à effet de serre pour atteindre le «net zéro» en 2050. Seuls les fonds «durables» excluent les fournisseurs d’énergie fossile.
Pictet, qui gère le fonds «Europe Index – IS EUR», rappelle que celui-ci n’a «aucun objectif de durabilité». La banque n’investit que dans les entreprises qui visent les objectifs de l’Accord de Paris sur le climat et rejette, en assemblées générales, les plans des entreprises qui n’y arrivent pas. C’est ce qu’elle a fait chez Shell en 2022 et 2023: elle a voté contre l’approbation de rapports de durabilité qu’elle jugeait insuffisants.