Qu’on ne se méprenne pas sur son sens de l’humour et son attitude très zen, Morgane Paillard est une battante. Elle aime dire qu’elle explore ou qu’elle attend de voir où ses engagements la mèneront, quitte à donner l’impression de suivre le vent. La jeune femme sait surtout s’adapter aux tempêtes qui secouent régulièrement le monde de la culture. «Il faut pouvoir bifurquer, changer sa situation et la rendre viable. On doit trouver sans cesse des opportunités sur le court terme. En contrepartie, on continue à faire ce que l’on aime.»
Ce que Morgane Paillard aime depuis plusieurs années, c’est le festival de photographie Alt.+1000 dans les Montagnes neuchâteloises, qu’elle dirigera bientôt pour la deuxième fois. Cet événement biennal a lieu pendant près d’un mois entre fin août et mi-septembre. «Le festival questionne la notion de paysage. Il donne l’impulsion pour réfléchir aux liens que nous entretenons avec nos environnements naturels.»
Apprivoiser le changement
Loin de projets plus alarmistes liés à l’actualité, loin d’être moralisateur, Alt.+1000 invite à découvrir les travaux d’une variété d’artistes contemporains en se promenant sur les pentes du Jura. L’an prochain, le décor changera: du Lac des Taillères près de La Brévine, la manifestation se déplacera ailleurs dans les Montagnes neuchâteloises, sur un site non encore divulgué.
Organiser un tel événement, qui plus est dans un nouvel espace, nécessite d’avoir les reins solides. Épidémies, manque de financement ou de soutiens, météo capricieuse: le danger prend des formes multiples. Une fin d’été pourrie pèserait sur la fréquentation de ce festival en extérieur. Trop peu de sponsors menacerait de le reporter. Pour l’heure, le nombre de visiteurs est resté stable, à environ 10 000 par édition. «On ne cherche pas à s’agrandir, mais on espère que le nouveau site, plus proche des villes, amènera davantage de jeunes.»
La directrice de 31 ans doit surtout faire résonner cette initiative auprès des acteurs locaux, pour qu’ils puissent porter le projet. Le travail d’organisation consiste d’abord à trouver des partenariats et des bailleurs de fonds privés – notamment un nouveau grand sponsor. «Il a déjà fallu réduire les coûts, remodeler les postes, retrouver une formule pour continuer.»
Récemment, un verrou d’un autre type a cédé: afin de mieux pouvoir se concentrer sur le festival, Morgane Paillard a choisi de quitter Galerie C, un espace d’art contemporain qu’elle dirigeait depuis trois ans à Neuchâtel. Elle y travaillait même depuis 2016, après avoir obtenu ses diplômes en histoire de l’art, puis en études curatoriales à la Haute école des arts de Zurich.
Aujourd’hui, la jeune femme se consacre pleinement à Alt.+1000, mais son statut professionnel a changé: de la sécurité d’un poste de salariée à la galerie d’art, elle est devenue à 100% indépendante, sous mandats renouvelables pour le festival. «J’essaie depuis de multiplier les tables rondes, les jurys, les modérations, de compenser ci et là le temps partiel que j’ai perdu.» Côté prévoyance, elle tâtonne aussi, et se donne un horizon d’un an et demi pour voir si elle peut se permettre de cotiser davantage.
«La tension du court terme est parfois usante», concède Morgane Paillard. Quand elle évoque le stress et les difficultés financières vécues par les artistes, elle parle d’«engrenage». Heureusement, les langues se délient, les créateurs refusent plus souvent les cachets insignifiants, s’ils ne les rendent pas publics. Un objectif d’Alt.+1000 est d’apporter davantage d’énergie dans les projets et de soins aux artistes, rémunération comprise.
Contrairement à l’édition précédente qui faisait la part belle aux créateurs du monde entier, le but est d’arriver l’an prochain à 50% d’artistes suisses. Ce qui devrait permettre de trouver davantage de soutiens dans le pays, tout en conservant une importante aura internationale pour collaborer avec des institutions ou des manifestations à l’étranger, et partager certains frais. A bien des égards, un exercice de funambule…
Quand on lui demande quel est le moteur qui la pousse en avant, Morgane Paillard n’hésite pas une seconde: «Je veux continuer à travailler avec des artistes, accompagner des projets et les voir naître dans le cadre d’expositions. C’est avec cela que je trouve du sens.» Il s’agit même de sa seule vraie ambition. «Il n’y a pas de déroulé de carrière, mais des occasions qu’on se crée ou qu’on saisit», assure-t-elle. «On a l’espoir que nos réalisations fassent écho et amènent de nouvelles opportunités qui nous aident à garder l’équilibre.»