Il a le verbe rapide, la phrase construite et l’enthousiasme communicatif du jeune entrepreneur qui a appris à se vendre. Sheraz Ahmed, 28 ans, a décidé que l’avenir devait lui appartenir et met toute son énergie pour atteindre cet objectif. Quitte à se lancer dans deux domaines a priori peu accessibles aux non-spécialistes: la technologie de la chaîne de blocs et la cryptofinance.
C’est un colocataire qui lui a fait découvrir le monde du Web3, une version de la Toile qui se veut décentralisée, par opposition à la concentration du réseau entre les mains des GAFAM et quelques autres géants. Il avait alors juste 21 ans. Sept ans plus tard, il s’est fait sa place dans le domaine du Web3, qui se veut la version décentralisée de la Toile.
Conseiller en cryptofinance
Plus précisément: il est à la tête de deux sociétés de consulting et est en train d’en lancer une troisième. Chiffre d’affaires total: 2,5 millions de francs. L’ensemble compte 21 employés. La première, Storm Partners, pratique le conseil en entreprise classique, mais dans le créneau encore peu disputé du web décentralisé. La deuxième, Sky Financial, accompagne le transfert de cryptoactifs vers le système financier traditionnel, notamment en ce qui concerne les questions réglementaires. La troisième, Decentral House, en phase de lancement, ambitionne, à l’inverse, de guider les banques qui veulent s’engager dans la cryptofinance.
En dépit de son verbe haut et de la croissance de ses affaires, ce montreusien d’adoption et de cœur ne véhicule pas le discours d’un flambeur, au contraire. Il reste l’unique propriétaire de ses sociétés et affirme s’autofinancer entièrement. «J’ai réussi à créer un lien de confiance suffisant pour que les mandats qui me sont attribués soient payés assez tôt afin de pouvoir assumer les charges, dont les salaires», affirme-t-il.
Sheraz Ahmed s’est formé à la gestion d’entreprise entre la Suisse, le Royaume-Uni et l’Espagne, mais n’a pas touché à la technologie avant d’arriver au seuil de l’âge adulte. Sa scolarité secondaire, il l’a passée dans une école bilingue français-anglais de la Riviera vaudoise, où ses parents – Britanniques d’origine indienne, kényane et pakistanaise – se sont établis alors qu’il avait huit ans. Mais c’est à Lancaster, dans le nord de l’Angleterre, qu’il a effectué le premier cycle de ses études d’économie, qu’il a achevées à l’Université jésuite de Madrid avec un bachelor en administration des affaires.
Le fait que Storm Partners, la plus ancienne et la plus importante de ses sociétés, ait été fondée il y a dix ans par son père (qui la lui a cédée depuis) lui a donné le temps nécessaire pour se constituer une base de clientèle stable. Mais le jeune patron se réclame aussi d’une politique de croissance responsable au lieu de flamber. Aussi sa stratégie consiste-t-elle en un élargissement progressif de ses activités en se basant sur l’écosystème technologique et financier suisse, et plus particulièrement genevois. «Il faut faire monter l’eau dans un écosystème pour faire venir de grands bateaux», illustre-t-il.
Belle montre, belle voiture
Lui-même se verse un salaire annuel «à cinq chiffres» pour des semaines de travail qui dépassent les 60 heures, ce qui dénote une certaine retenue en matière de rémunération. Mais il reconnaît s’offrir parfois «des petits cadeaux» via son entreprise, comme une belle montre ou une belle voiture, on n’est pas entrepreneur pour rien!
«Je travaille pour le futur», répond-il lorsque, interrogé sur sa prévoyance, il reconnaît ne pas s’en être trop préoccupé jusqu’alors. Et le futur, pour lui, c’est non seulement le développement de ses affaires, mais aussi celui de son réseau personnel. Il a été accepté en 2020 au chapitre genevois des «Global Shapers of the World», une «communauté de jeunes entrepreneurs» fondée par le Forum économique mondial (WEF), qui compte une trentaine de membres dans la cité de Calvin et en revendique plus de 10 400 dans le monde. De quoi ouvrir bien des nouvelles portes dans les années qui viennent.
Sheraz Ahmed a l’ambition de se faire sa place dans le domaine innovant et prometteur des transactions dans le web décentralisé, ce qui est indiscutablement une vision d’avenir. Mais pour y parvenir, il trouve manifestement que les méthodes commerciales éprouvées ont du bon.
Yves Genier