Dressé sur un col enneigé, il a la bonhomie rassurante et le tutoiement de rigueur des professionnels de la montagne avec leurs clients. Redescendu en ville, la bonhomie n’a pas disparu, le tutoiement encore moins. Mais le guide Sylvain Hugon affiche un autre visage: celui des contraintes économiques lorsque l’on est un jeune professionnel de la montagne en Valais.
«En plus d’emmener des clients sur les sommets, j’exerce aussi la profession d’ébéniste. Je partage mon temps à environ 50% pour chacune des deux activités», explique le jeune homme de 28 ans. Ce n’est pas une contrainte économique qui l’a amené à faire ce choix, la profession offrant suffisamment de débouchés pour assurer un bon niveau de vie: «Un guide peut gagner 50 000 fr.- comme 150 000 fr.- par an en fonction du volume de travail qu’il accomplit. On parle évidemment de revenu brut, étant donné notre statut d’indépendant.» De plus, la demande du public pour rallier les sommets ne faiblit pas: rien que pour la saison estivale, ses journées ont été réservées plusieurs semaines à l’avance. La clé d’un agenda bien rempli reste néanmoins «un bon réseau».
Sans garantie
«La règle, c’est de bien séparer les deux activités professionnelles: certaines journées, on emmène des gens en hauteur. D’autres, on travaille le bois», détaille-t-il. En soulignant un avantage particulier de la formule: «Faire de l’ébénisterie permet de désacraliser la profession de guide. On se dit qu’il est possible de gagner sa vie sans être obligé de prendre trop de risques.»
L’activité de guide se concentre sur deux saisons: une quarantaine de jours en été et une soixantaine en hiver. Ce sont autant de jours bloqués pour emmener des clients en montagne, mais sans garantie de revenu: une sortie peut être annulée ou décalée, même au tout dernier moment, si la météo n’est pas favorable. Sur une saison, cela arrive dans une situation sur trois. «Il faut savoir faire preuve de flexibilité et d’humilité devant les forces de la nature», résume-t-il.
Et les vacances? Un guide en prend aussi. C’est à l’automne que les professionnels de la montagne aiment le plus pour prendre congé, entre la fin des grandes courses d’altitude estivales et le commencement de celles des sorties à ski. Et que fait un guide pendant ses vacances? Il «teste ses limites physiques et mentales». En clair: il s’offre des sorties d’un niveau souvent impossible à atteindre avec des clients. Ou, tout simplement, se faire plaisir, comme s’offrir des parois d’escalade dans le parc national du Yosemite aux Etats-Unis ou de la randonnée dans le parc du Lake District, au nord-ouest de l’Angleterre.
Impayable assurance
La flexibilité, la liberté et le goût du risque ont leur contrepartie: des coûts d’assurance extrêmement élevés. «Avoir une assurance perte de gain complète est impayable quand on exerce ce métier», poursuit le guide. Les compagnies ne se pressent pas pour assumer les risques d’une profession où l’on marche sur une arête rocheuse à des altitudes impossibles, ou où l’on se suspend dans le vide.
Comme alternative, les guides prennent une assurance vie. Et encore le choix est-il limité: seules les grandes compagnies acceptent de tels clients. Et en cas d’arrêt forcé de l’activité, «c’est la trésorerie personnelle qui assume» les trois premiers mois, se résigne le Valaisan, avant que le relais soit pris par des couvertures externes. Maigre consolation pour le guide: les menuisiers bénéficient d’un traitement plus favorable.
Terre à terre en altitude
Être patron de soi-même, ça s’apprend. Les guides reçoivent les bases de la gestion d’entreprise pendant trois petits jours au cours de leur cursus d’apprentissage. «C’est manifestement insuffisant», juge Sylvain Hugon, qui constate, par exemple, que nombre de confrères ne savent pas vraiment comment s’alimente le financement de leur future retraite. A moins qu’ils ne cherchent pas sérieusement à le savoir.
Mais il y aura toujours quelqu’un pour se soucier du bien-être matériel de celui qui vous emmène sur les sommets et les glaciers: «De nombreux clients s’intéressent à nos questions d’argent», remarque le guide. Même perchés sur un col neigeux et venté, les guides sont souvent ramenés à des questions bien terre à terre par ceux qu’ils ont amenés sur les hauteurs.