Les investisseurs professionnels – dont la caisse de pension de Migros – ne sont pas seuls à avoir perdu de l’argent à la suite du sauvetage de Credit Suisse le 19 mars dernier. La décision de la Finma de ramener à zéro la valeur des obligations AT1 frappe aussi de nombreux petits épargnants. Nombre d’entre eux se retrouvent aujourd’hui parmi les plus de 230 plaignants contre la décision de l’autorité de régulation.
Les obligations AT1 (Additional Tier 1) sont des titres de dette soumis à un régime particulier: émis sans délai de remboursement, ils peuvent être convertis en actions (d’où leur autre nom d’«obligations convertibles contingentes», ou «cocos») ou amortis pour assainir une banque en grandes difficultés financières.
Recommandations inadéquates
De 2013 à juin 2022, Credit Suisse avait émis 13 AT1 différentes: neuf en dollars américains, trois en francs et une en dollars de Singapour. Les coupons étaient très attractifs: de 3% (libellée en francs) à 9,75% pour la dernière (libellée en dollars). Pour l’investisseur, ils présentaient l’opportunité de placer de l’argent sans limite de temps en s’assurant des rendements bien plus élevés que le niveau de l’inflation.
Celles vendues en dollars américains intéressaient surtout les investisseurs étrangers. Elles supposaient en général un investissement minimum de 200 000 dollars américains. Pour les trois obligations AT1 libellées en francs suisses, en revanche, il suffisait d’investir 5000 fr. par titre. De nombreux clients des banques, qui ne cherchaient pas de placements risqués, se sont néanmoins trouvés à en détenir sur recommandation de leur conseiller en placement. Credit Suisse lui-même en a vendu à ses clients.
«Floué par ma banque»
Un lecteur bernois s’est laissé convaincre par un conseiller de Credit Suisse d’acheter des obligations AT1 alors qu’il avait voulu investir dans des obligations normales. Il s’est vu expliquer qu’il existait un risque résiduel: en cas de faillite, il devrait s’accommoder d’une certaine dépréciation de l’argent investi.
D’abord sceptique, notre lecteur a d’abord voulu savoir ce qui se passerait en cas de reprise de Credit Suisse par une autre banque ou d’intervention de l’État. La réponse de son conseiller bancaire a été que, dans ce cas, la dette serait automatiquement transférée à la nouvelle banque. Son argent ne serait donc pas perdu.
Notre lecteur a aussi demandé une fiche d’information sur le produit. Mais elle ne lui a pas été remise, sous prétexte qu’elle n’existait pas. Finalement, ce lecteur a investi 40 000 fr. dans cette obligation AT1. Aujourd’hui, il est en colère: «En tant que petit investisseur, je me sens floué. Pour ma retraite, j’ai besoin de cet argent.» D’autres lecteurs ont témoigné d’expériences similaires avec leurs banques.
Responsabilité engagée
Si un conseiller en placement recommande un instrument financier qui ne correspond pas au profil de l’investisseur, il ne respecte pas son obligation contractuelle de diligence et sa responsabilité est engagée. Il en va de même pour les gestionnaires de fortune qui investissent l’argent de leurs clients dans des instruments financiers inadaptés.
Il est possible de demander justice et de réclamer à sa banque l’argent perdu à la suite de conseils inadéquats. La première méthode est de s’adresser à l’ombudsman des banques. La procédure est peu coûteuse. Si elle n’aboutit pas, il est possible de porter le cas devant le Tribunal administratif fédéral, à l’instar de nombreux autres investisseurs. La procédure est néanmoins plus lourde et coûteuse.
Placement à haut risque
Les obligations AT1 sont des instruments financiers à haut risque. Ce risque se mesure en premier lieu par le niveau élevé des rendements offerts (de 3% à près de 10%). A cela s’ajoute la complexité du produit financier: les petits investisseurs comprennent à peine dans quelles circonstances une obligation AT1 peut perdre sa valeur. Ils ne peuvent donc pas évaluer le risque sous-jacent de ces titres. Autant de raisons, pour le petit investisseur qui cherche à éviter les risques, de ne pas mettre d’argent dans ce type de placement.