Une détentrice de carte de crédit Cumulus (connue de la rédaction) a eu la mauvaise surprise, après son retour de vacances, de découvrir que l’émetteur de la carte, Cembra Money Bank, lui avait facturé un intérêt débiteur de 6.90 fr. Ce n’était pas tant la somme que le principe qui l’a interloquée: comment la banque calcule-t-elle les intérêts qu’elle facture à ses clients?
Lors de son séjour, la détentrice de carte avait, par téléphone portable, versé mille francs sur le compte de sa carte de crédit afin de couvrir ses dépenses à venir. Or, celles-ci se sont montées, en tout, à 1209.90 fr. Aussi a-t-elle versé le solde de 209.90 fr. à son retour. Un paiement que la banque n’a comptabilisé que huit jours après l’expiration du délai de paiement, ce qui lui a permis de facturer des intérêts.
Attention à la date
Les factures mensuelles ne livrent aucune indication sur le mode de calcul des intérêts. Sur demande de sa cliente, Cembra a révélé qu’elle n’exige pas seulement des intérêts sur le montant restant dû, mais aussi sur les 1000 francs virés dans les délais. En outre, le premier jour de décompte n’est pas la date d’échéance, mais celle de facturation. Le taux effectif se monte par conséquent à environ 150% alors que, légalement, il ne peut pas dépasser 12%.
Sur le papier, les banques émettrices de cartes de crédit se conforment à la loi. Elles facturent des intérêts entre 9,4% (Banque Migros) et 12% (Cornèrcard, Swisscard, UBS, Viseca) lorsque la facture n’est pas payée à la date d’échéance, selon leurs conditions générales.
Les détenteurs de cartes de crédit ne sont généralement pas obligés de payer la totalité de la facture dans le délai de paiement indiqué. Les factures indiquent d’ordinaire: «Solde en notre faveur: 403.35 fr., montant minimum en cas de paiement partiel, payable avant telle date: 50 fr.». Le détenteur qui recourt au paiement partiel devrait payer l’intérêt convenu dans le contrat. Mais les banques émettrices ne respectent pas cette règle.
Petits caractères
Contrairement à ce que l’on imagine d’ordinaire, ce n’est pas à dater de la réception de la facture ou de l’expiration du délai de paiement qu’elles décomptent les intérêts passifs d’une carte de crédit, mais à partir de la «date de transaction», de la «date de comptabilisation» ou de la «date de facturation», selon les petits caractères de leurs conditions générales. Donc, à partir d’une date que la banque fixe arbitrairement.
Ainsi, les conditions générales de Swisscard (Credit Suisse) précisent que «si le montant de la facture n’est pas payé, ou n’est payé que partiellement à la date de paiement indiquée sur la facture mensuelle, des intérêts sont prélevés sur tous les débits, jusqu’à la réception d’un paiement partiel, puis sur le solde restant dû jusqu’à la réception du paiement».
UBS écrit en petits caractères: Si «le montant de la facture n’est pas payé ou n’est pas payé intégralement dans les délais, l’intérêt passif est calculé sur tous les montants de la transaction ainsi que sur les prix à dater de la transaction». Et selon le contrat de Cornèrcard, les clients doivent payer «un taux d’intérêt annuel sur toutes les transactions à partir de la date de comptabilisation jusqu’au paiement intégral, conformément à la convention».
Clause inadmissible
La pratique de ces banques est contestée par des experts. «Les intérêts qui courent déjà avant l’expiration du délai de paiement et donc avant l’échéance d’une créance ne sont pas dus», explique une spécialiste, l’avocate Nora Goll, de l’association bernoise de conseil en matière de dettes. En clair: les titulaires de cartes ne devraient payer les intérêts passifs que pour le montant encore impayé à l’expiration du délai.
Le professeur de droit de Saint-Gall Arnold Rusch affirme pour sa part, dans une revue juridique, que le fait de facturer des intérêts sur le montant total de la facture «pouvait conduire à une violation des dispositions relatives au taux d’intérêt maximal». Une telle clause n’est par conséquent pas admissible car les clients ne doivent pas s’attendre à des taux d’intérêt plus élevés que le maximum légal.
Les émetteurs de cartes disent au contraire qu’ils n’enfreignent pas la loi en ponctionnant des intérêts sur les montants payés dans les délais. «Cette méthode de calcul est légale», affirme Cembra Money Bank. Swisscard avance, elle, que la facturation d’intérêts à partir de la date de comptabilisation est «juridiquement admissible et conforme aux usages du marché». UBS, enfin, estime que la position d’Arnold Rusch se réfère aux intérêts moratoires et non pas aux intérêts passifs.
Petit souci pour cette dernière explication: selon les conditions générales des banques, les intérêts moratoires ne dépassent jamais les intérêts passifs.
Thomas Lattmann / yg
Conseils pratiques
- Contrôlez minutieusement la facture mensuelle de votre carte de crédit, surtout les intérêts facturés. Les frais de rappel ne sont dus que s’ils sont chiffrés dans les conditions générales, et seulement après réception d’un rappel.
- Contestez les éventuels montants erronés auprès de l’émetteur de la carte de crédit. Ne payez que la partie de la facture qui est due. Vous ne devez jamais payer plus de 12% d’intérêts, et ce uniquement sur les montants qui n’ont pas été versés dans le délai de paiement. Si un délai de paiement est indiqué dans les conditions générales de votre banque, il ne commence à courir qu’à partir de la réception de la facture.
- Dans la mesure du possible, payez toujours votre facture de carte de crédit dans son intégralité et dans le délai imparti. Vous éviterez ainsi des intérêts élevés.
- Ne recourez pas au système du prélèvement automatique (LSV). De cette manière, vous gardez le contrôle de vos paiements et la banque n’a pas d’accès direct à votre compte.
Une affaire de millions
Grâce au niveau très élevé des taux, les émetteurs de cartes font de bonnes affaires lorsque les clients ne règlent pas leurs factures, ou seulement partiellement. Ainsi, Cembra Money Bank a gagné 84,5 millions de fr. l’an dernier grâce aux intérêts, plus de 51% des recettes des activités de cartes de crédit.
Des délais très raccourcis
Les émetteurs de cartes compliquent la tâche des détenteurs de cartes qui souhaitent respecter les délais de paiement prévus dans le contrat avec des dispositions discutables:
- Le délai de paiement est nettement inférieur aux 30 jours habituels, mais compris entre 15 et 25 jours (voir tableau).
- Le délai ne peut légalement pas commencer avant que le débiteur n’ait reçu la facture. Mais certains émetteurs de cartes fixent toutefois en petits caractères le début à la date de la facture. Celle-ci est fixée uniquement par la banque et précède souvent d’une semaine le jour où la facture arrive dans la boîte aux lettres du client. Les banques réduisent ainsi le délai de paiement convenu contractuellement
- Certaines banques s’autorisent même, en petits caractères, à fixer unilatéralement le délai de paiement sur la facture. Cela constitue également un désavantage considérable pour les clients.
De telles clauses dans les conditions générales sont interdites par l’article 8 de la Loi fédérale contre la concurrence déloyale (Utilisation de conditions commerciales abusives).