Une lectrice vaudoise s’est émue fin 2022, à la lecture du relevé de son compte de libre-passage déposé à la banque Pictet, qu’il manquait presque 40 000 fr. Un an et demi plus tôt, en juin 2021, elle y avait placé, en deux versements, environ 370 000 fr. émanant de son ancienne caisse de pension. Alors en «transition de carrière», elle espérait faire fructifier – prudemment – cet avoir vieillesse.
Cet avoir avait été investi par la banque à parts égales auprès de deux fonds de placement sous l’égide de la Fondation Pictet de libre-passage, une institution rattachée au groupe bancaire genevois chargée de gérer les avoirs de retraite soumis à la Loi sur la prévoyance professionnelle (LPP).
Stables mais en baisse
Ces deux fonds étaient le LPP/BVG-10 ESG P (n° ISIN: CH0296543215) et le LPP/BVG-25 ESG P (n° ISIN: CH0017244432). Leurs caractéristiques principales sont d’allouer l’essentiel des avoirs à des placements en obligations (des titres de dettes d’États ou d’entreprises), des titres plus sûrs car moins sujets aux fluctuations de valeur que les actions des titres de propriété d’entreprises.
Ces dernières constituent une proportion réduite des placements: entre 5 et 15% du fonds LPP-10 et entre 15 et 35% du fonds LPP-25. Le premier fonds est donc encore moins sujet à fluctuations que le second.
Gage supplémentaire de stabilité: le LPP-10 est investi à près de 95% en francs, minimisant de ce fait les fluctuations de valeur dues aux variations des changes entre monnaies. Le LPP-25 est investi à près de 20% en monnaies étrangères (surtout en dollars américains), autorisant de ce fait des variations un peu plus importantes. L’ensemble reste toutefois largement protégé des secousses de marchés financiers.
Frais et commissions
Comment un placement caractérisé par la sécurité a-t-il abouti à la disparition de plus de 10% de la mise initiale? Trois raisons ont conduit à cette mauvaise surprise. La première est due aux risques de ce type de placement. Les deux autres sont propres à la banque Pictet et au courtier DiLife, qui a mis en relation notre lectrice avec la banque et a amené à l’ouverture du compte. Notre rédaction leur a demandé de détailler ces causes.
- Les placements financiers ont subi la chute des marchés financiers en 2022, durant laquelle tout a baissé: les actions, aux cours très variables par nature; et aussi, de façon plus exceptionnelle, les obligations, dont les cours sont beaucoup plus stables. Normalement, ces dernières prennent de la valeur lorsque les actions baissent. En 2022, elles ont perdu de la valeur elles aussi.
Résultat: l’avoir de notre lectrice a perdu quelque 11,5% de sa valeur entre son ouverture en mai 2021 et sa clôture à la fin 2022. La moins-value atteint 38 234 fr.
- Pour son travail de gestion, la banque Pictet a facturé des frais. Ces derniers sont calculés sur la valeur nette d’inventaire (VNI), c’est-à-dire l’avoir net de la déposante, selon un décompte quotidien. Ces frais se comptent en point de pourcentage et sont répartis sur une année. Ils additionnent les frais de gestion de chaque fonds (0,7% de la VNI pour le LPP-10, 0,95% de la VNI pour le fonds LPP-25) auxquels s’ajoutent 0,1% de frais d’administration facturés par la banque.
Au total, Pictet a facturé des frais de 0,8% de la VNI du fonds LPP-10 et 1,05% de la VNI du fonds LPP25. Ces frais se sont montés, en tout, à 3780 fr.
Dans les décomptes adressés à sa cliente, Pictet ne détaille pas les frais effectivement. Ces décomptes n’indiquent que la «variation» de la somme en dépôt survenue entre deux décomptes. La variation ne chiffre que le total des plus-values et moins-values des placements et des frais. La banque renvoie aux fiches d’information de ses fonds pour connaître le calcul des frais. Ces fiches sont accessibles sur son site internet.
- Pour son travail de mise en relation entre notre lectrice et la banque, le courtier DiLife à Lancy (GE) a perçu une commission de 3% de l’avoir transféré. Cette disposition est précisée sur le formulaire de demande d’ouverture du compte. Le montant de la commission est prélevé sur l’avoir transféré de l’ancienne caisse de pension de notre lectrice. Il n’apparaît pas sur les décomptes établis par Pictet. La banque ne mentionne dans ces derniers que les fonds qu’elle investit au nom de sa cliente après déduction de la commission. Cette commission a aussi été mentionnée verbalement avant la signature du contrat.
Elle a été prélevée sur le premier des deux apports, d’un montant de 131 500 fr. Aussi s’est-elle élevée à 3945 fr. Aucune commission n’a été prélevée sur le second apport, de 238 600 fr., après que notre lectrice l’a annoncé lors de l’ouverture du dépôt. Cette renonciation s’est faite «à bien plaire», selon DiLife.
L’ensemble des frais a donc totalisé 7725 fr. Notre lectrice dit ne pas avoir été explicitement informée de l’existence de ces derniers. DiLife affirme de son côté avoir expliqué et remis les feuilles d’information des fonds sur lesquels figurent les frais de gestion et la commission.
En tout, la mésaventure a coûté 46 419 fr. à notre lectrice, davantage que ce qu’elle a compris.
Notre lectrice n’a pas attendu d’avoir des explications. Fin 2022, elle a fermé son dépôt chez Pictet et placé son avoir de prévoyance auprès d’une compagnie d’assurances, puis auprès de la caisse de pension de son nouvel employeur.
Les questions à poser
Avant de signer une demande d’ouverture de compte, posez les questions suivantes, surtout si vous avez l’impression de n’y rien comprendre:
- Vaut-il la peine de prendre des risques en plaçant mon libre-passage sur des titres si ce n’est que pour un temps limité?
- Combien est-ce que je risque de perdre si mes placements baissent?
- Est-ce que cette perte est récupérable?
- Combien me coûtent les frais bancaires?
- Combien me coûte la commission de courtage?
Conseil: ne paniquez pas!
Si votre compte de deuxième ou de troisième pilier est investi dans des fonds, ne paniquez pas si ces derniers baissent. Comparez leur baisse à celle des actions et des obligations en général. Évaluez les chances de remontée de votre placement.
Si vous vendez après que vos avoirs ont perdu de la valeur, vous ne pourrez pas la récupérer en cas de hausse nouvelle des cours. Au contraire, si vous attendez, vous pourrez récupérer votre perte si les cours remontent.
Si vous avez le sentiment de ne pas comprendre, demandez des explications simpleset concrètes à votre banque ou à un proche. Enfin, si vous êtes au chômage, optez pour un compte de libre-passage plutôt qu’un placement en titres: c’est beaucoup moins risqué et moins cher.