Une lectrice nonagénaire du Chablais était heureuse d’avoir équipé son chalet de capteurs photovoltaïques en 2021. Ils devaient lui permettre de réduire sa facture d’électricité en injectant dans le réseau le courant excédentaire produit sur son toit.
Par conséquent, son fournisseur, Romande Energie, a installé dans sa maison un compteur intelligent nommé «smart meter». Cet appareil doit non seulement faire la différence entre les tarifs diurne et nocturne, mais aussi décompter l’électricité entrante et sortante, afin de déduire des factures adressées à notre lectrice pour ses achats de courant l’électricité photovoltaïque qu’elle fournit au distributeur.
Pendant plusieurs mois, tout se passe bien. Mais en août dernier, notre lectrice reçoit une «facture d’ajustement» de Romande Energie d’un montant de 1832,75 fr. payable dans le délai d’un mois. Le courrier résulte d’une erreur de facturation survenue durant près une année et demie.
Dialogue de sourds
Le compteur avait été mal paramétré, explique Romande Energie. Il ne comptait pas les flux du tarif «jour», mais uniquement ceux du tarif «nuit». Le résultat: la production et la consommation de notre lectrice durant les heures non comptées par l’appareil n’ont pas été facturées. L’électricien reconnaît son erreur.
Il avoue, de plus, que le cas n’est pas isolé. «Plusieurs clients ont ainsi reçu une facture d’ajustement, plus souvent dans le sens inverse où Romande Energie a finalement rendu de l’argent.»
Néanmoins, notre lectrice refuse de s’exécuter. «Chacun doit assumer les conséquences de ses erreurs. Si Romande Energie avait proposé de réduire sa facture, j’aurais sans doute accepté», affirme-t-elle. L’électricien lui propose un arrangement sous forme de paiement échelonné mais n’entre pas en matière sur une réduction de la facture.
Face à notre rédaction, l’électricien invoque la loi. Celle-ci «stipule clairement que toute électricité consommée doit être facturée et est due». Il en va, ajoute-t-elle, du respect de «l’égalité de traitement» entre les clients, avant de conclure: «Ce ne serait pas correct vis-à-vis des clients qui ont payé.»
Conséquence: le 6 novembre dernier, Romande Energie a envoyé un «avis d’interruption de la fourniture d’énergie» si le montant initial majoré de 15 fr. de frais n’est pas honoré dans la semaine, week-end inclus. En clair: si notre lectrice ne s’exécute pas, le courant sera coupé et elle risque de se retrouver dans le noir. Pour éviter une telle extrémité, elle a payé sa facture. Elle se dit, face à notre rédaction, «dégoûtée par l’attitude de Romande Energie».
Situation «délicate»
Menacer de couper le courant à une personne très âgée au seuil de l’hiver pour une facture non payée car litigieuse, est-ce une mesure proportionnée? Romande Energie reconnaît que «la situation est délicate», d’autant plus que la personne avait honoré toutes ses factures précédentes.
Le distributeur explique que, «dans un tel cas, notre technicien se rend sur place pour apprécier la situation avant de couper. S’il croise le client, il proposera un ultime délai avant de revenir. Lorsque le compteur est à l’intérieur de la maison, le technicien doit de toute manière avoir un contact avec le client avant de procéder à la coupure. C’est à ce moment-là que nous laissons notre collaborateur juger de la situation». Dans son courrier, il précise que cette intervention «sera facturée conformément aux tarifs en vigueur».
Aucune instance d’arbitrage
Cet exemple met en lumière l’absence de structure d’arbitrage. Contrairement aux services bancaires ou d’assurance, la fourniture d’électricité n’a pas de modérateur, ou d’ombudsman, alors qu’il en existe en Belgique, par exemple. Mais la Commission fédérale de l’électricité (Elcom) est compétente pour analyser les litiges en cas de coupure de courant, du moins en ce qui concerne le service de base (le monopole appliqué aux ménages et aux petites entreprises).
Le Tribunal fédéral a jugé de son côté qu’une compagnie d’électricité ne peut pas couper le courant en raison de factures impayées sans entendre les arguments du consommateur concerné (ATF 137 I 120). De plus, des arrangements doivent être proposés, notamment la facturation partielle.
Enfin, aucun tribunal n’a eu à se pencher, jusqu’à maintenant, sur la question de savoir si la coupure de courant d’une personne âgée à la veille de l’hiver pour une facture litigieuse était une mesure proportionnée, ou pas.
Yves Genier