Le pouvoir des banques centrales est énorme, nul n’en doute. En relevant rapidement leurs taux d’intérêt l’an dernier, ces institutions, chargées de la politique monétaire et de la stabilité des prix, ont massivement renchéri le coût du crédit pour tout un chacun, et freiné l’économie, déjà en ralentissement. Ce qui a provoqué l’une des pires débâcles boursières depuis les années 1930. Tout cela pour contrer le retour de l’inflation, dont elles sont en grande partie responsables puisqu’elle résulte de dix ans d’assouplissements quantitatifs, la politique des robinets monétaires grands ouverts.
Mais comment ces institutions, qui se situent à la frontière des pouvoirs politique et économique, ont-elles acquis une telle puissance sans avoir pratiquement de comptes à rendre? Cette situation peut-elle perdurer?
Pour une fois, ce n’est pas un économiste mais un sociologue qui avance une explication. Maître de recherche à l’Institut Max-Planck à Cologne, Leon Wansleben a passé plusieurs années dans les entrailles de plusieurs banques centrales, dont la BNS, pour tenter de percer le mystère.
Institutions séculaires, les banques centrales tirent leur puissance du fait qu’elles ont systématiquement apporté leurs solutions aux crises financières dès le milieu des années 1970: poussées d’inflations, crises économiques, crises financières, notamment celle de 2008… c’est leurs interventions qui ont évité une aggravation de la situation sur le moment.
Au fil de leurs interventions, elles ont développé les instruments et le savoir-faire grâce à ce que l’auteur appelle leur «bureaucratisme entrepreneurial»: à savoir, leurs capacités, en tant qu’institutions publiques, à montrer la réactivité et l’inventivité qui leur ont permis de trouver des solutions parfois inédites, comme l’assouplissement quantitatif au lendemain de la crise de 2008.
Pour y arriver, les banques centrales ont développé de nouveaux instruments financiers et accordé plus de liberté d’action aux banques commerciales. Il en a résulté la dérégulation financière, qui a conduit à de nouvelles crises (par exemple celle de 2008), qui ont nécessité de nouvelles interventions des banques centrales. Leurs actions ont influencé la pensée économique et les programmes politiques et abouti au creusement des inégalités.
Cette ère pourrait néanmoins toucher à sa fin avec le retour de l’inflation, vue comme une nouvelle crise pouvant amener les Etats à reprendre plus de contrôle du système financier. yg