De nombreux lecteurs de toute la Suisse romande se sont alarmés auprès de notre rédaction ces derniers jours concernant leurs placements dans PrimeEnergy Cleantech, entreprise active dans l’immobilier et l’énergie photovoltaïque dont l’aéronaute Bertrand Piccard s’était fait l’ambassadeur. Khalid Belgmimi, directeur général de cette société a annoncé aux investisseurs le 18 octobre dernier sa faillite imminente en raison de « difficultés financières ».
Une telle faillite fait courir à nos lecteurs le risque de perdre une grande partie de leur investissement, voire la totalité : ils avaient acheté des obligations émises par la société ces dernières années. D’un montant de 10'000 francs chacune, elles offraient des rendements attractifs. Ainsi, une tranche lancée en 2021 promettait un rendement annuel de 4% pendant cinq ans.
Promesses du principal actionnaire
Un lecteur vaudois en détient huit, pour 80'000 francs. Un autre en avait acquis quatre, pour 40'000 francs. Sa PPE en avait acquis deux autres, pour 20'000 francs. Ils ne sont que quelques exemples. Un groupe WhatsApp de personnes touchées par la faillite rassemblait 140 personnes le 27 octobre. Une page Facebook consacré au même sujet affiche 231 membres. En tout, les obligations émises par PrimeEnergy Cleantech se montent à 109,5 millions de francs, selon un prospectus d’émission de janvier 2023, qui livre les données les plus récentes.
Ce n’est qu’au terme de la procédure de liquidation que les investisseurs sauront ce qu’ils pourront récupérer. Cette procédure peut durer des années. Pourtant, Laurin Faeh, ancien président et actionnaire à près de 65% de la société, promet, face à notre rédaction, « un remboursement adéquat des investissements pour les détenteurs d'obligations. » Car, argumente-t-il, « le groupe PrimeEnergy Cleantech dispose d'une substance importante », qu’il énumère : des installations photovoltaïques, des biens immobiliers, des entreprises de montage.
Gros prêts à l’actionnaire «interdits»
Les chiffres présentent une situation plus nuancée. Le groupe affiche un bilan de 212,7 millions de francs au 31 décembre 2022, date du dernier chiffre publié. Les actifs tangibles (immobilier et installations photovoltaïques pour l’essentiel) représentent un peu plus de la moitié, 115,7 millions. Or, sur ce montant, 73 millions sont gagés auprès des banques créancières.
L’essentiel des autres actifs sont des prêts à l’actionnaire majoritaire Laurin Faeh pour 44,6 millions de francs (voir tableau ci-dessus). Soit via des sociétés immobilières ou énergétiques dont PrimeEnergy Cleantech ne possède pas plus de 50% du capital mais qu’il dirige (pour 29,1 millions de francs), soit directement, toujours selon les comptes 2022.
Moyennant quelle garantie ? « PrimeEnergy Cleantech a conclu avec l’actionnaire un contrat de prêt avec des modalités de remboursement précises », explique Laurin Faeh. Ces modalités ne sont pas détaillées. Mais ces prêts ont attiré l’attention du réviseur, PwC. Ce dernier signalait dans son rapport sur les comptes 2022 que sur cette somme, l’avance de 19,5 millions de francs à l’actionnaire était « interdite » car le groupe faisait des pertes. PwC a néanmoins recommandé l’acceptation des comptes.
Fonds propres négatifs
Or, PrimeEnergy Cleantech était déjà très endettée à ce moment-là : elle devait 186,6 millions de francs à ses créanciers, dont les 109,5 millions de francs dus à ses créanciers obligataires. De plus, elle avait accumulé des pertes pour 26 millions de francs et la valeur des fonds propres était… négative pour presque 5 millions de francs. Le réviseur PwC avait néanmoins recommandé l’approbation des comptes car « le flux de liquidités était positif », justifie Laurin Faeh. Aussi ces comptes ont-ils été avalisés par les actionnaires en 2023 à une majorité de 93%.
Pour résumer, les créanciers de PrimeEnergy Cleantech ont prêté 109,5 millions de francs à la société… qui en a reprêté pas loin de la moitié à son principal actionnaire. Or, la société doit plus qu’elle ne possède. Ses actifs tangibles sont gagés pour deux tiers de leur valeur auprès des banques. Toutes ces données figuraient dans les comptes disponibles en 2023. Aussi, il sera très compliqué aux créanciers obligataires de récupérer davantage qu’une fraction de leur investissement.
Tardive intervention de la Finma
Les difficultés financières de PimeEnergy Cleantech, qui ont commencé avec la pandémie, se sont sérieusement aggravées en août 2023 lorsque la Finma, le gendarme de la finance, a rendu une décision « qui a empêché la construction de grandes installations », justifie Laurin Faeh suite aux questions de notre rédaction. Cette décision survenait après qu’elle ait opéré un contrôle en début d’année.
La société voulait alors fusionner avec un « puissant fabricant de modules photovoltaïques » avant de se faire coter en bourse, poursuit Laurin Faeh. L’intervention de l’autorité de surveillance a provoqué l’abandon du projet.
Or, la Finma n’avait pas posé d’obstacles aux nombreuses émissions d’obligations survenues les années précédentes. Le site web de PrimeEnergy Cleantech a multiplié les annonces dans ce sens dès les années 2010. Il est aujourd’hui désactivé. Manifestement, le gendarme financier n’avait rien trouvé à redire à ces émissions.
Interrogée par notre rédaction, il s’est retranché derrière « la confidentialité des activités de surveillance » pour garder le silence. La loi l’autorise, toutefois, à s’exprimer publiquement.
Loi lacunaire
La Finma ne surveille pas directement les émissions d’obligations. Cette tâche est dévolue à SIX, la société qui exploite la bourse suisse. Celle-ci doit s’assurer de la justesse des prospectus d’émission des titres négociés sur sa plate-forme en Suisse. Elle dispose de dix jours pour le faire. Si elle ne dit rien, le prospectus est validé et l’émission peut se faire.
Or, les obligations émises par PrimeEnergy n’étaient pas destinées à une cotation en bourse. Les prospectus qu’elle a publiés, conformément à la Loi sur les services financiers (LSFin) pour tous les papiers-valeurs destinés au public, étaient établis sous sa seule responsabilité. Seuls les comptes étaient vérifiés par son réviseur, PwC.
Aussi, PrimeEnergy a pu lever des fonds auprès du public grâce à une lacune de la loi.
Procédure à suivre en cas de faillite
Les investisseurs de PrimeEnergy doivent suivre deux procédures différentes :
1. La procédure de faillite. Sitôt l’annonce de faillite, publiée dans la Feuille officielle suisse du commerce (FOSC) et inscrite au Registre du commerce de Bâle-Campagne, les créanciers disposent d’un délai d’un mois pour faire valoir leurs prétentions en les détaillant sur un formulaire ad hoc.
La procédure prend ordinairement plusieurs mois, voire plusieurs années.
2. La procédure pénale. Les investisseurs qui se sentent floués peuvent déposer plainte pénale en arguant, par exemple, leurs soupçons de détournements de fonds, gestion déloyale ou autres malversations, résultant des prêts élevés accordés par l’entreprise à son principal actionnaire sans que les garanties paraissent claires. Le mieux est de confier l’affaire à un avocat spécialisé dans le droit de la faillite.
Le droit suisse ne permet pas les plaintes collectives. Mais rien n’empêche un nombre élevé de plaignants de déposer des plaintes similaires auprès de la police de leur canton de domicile. La justice pourra les joindre et les traiter comme une affaire unique.
Conseils: comment investir en limitant les risques
Il existe quelques mesures de précaution pour éviter la disparition de son épargne :
- Répartir ses investissements (« pas tous ses œufs dans le même panier »).
- Lors de l’achat direct d’obligations, comme d’actions d’entreprises noncotées en bourse, analyser la solidité financière de la société au travers des chiffres publiés. Se faire aider en cas de besoin.
- Les titres de sociétés non cotées sont beaucoup plus difficiles à revendre que les titres de sociétés cotées. N’en acheter que si l’on n’a pas besoin de l’argent rapidement.
- Réfléchir en termes financiers et pas uniquement avec son cœur et ses passions au moment d’investir.
- Suivre l’évolution de la société. Lire sa documentation financière. Poser toutes les questions nécessaires.
- Ne pas faire automatiquement confiance à des figures connues ou à des proches avant d’investir.