Vous avez des affaires en cours avec l’ex-deuxième plus grande banque de Suisse? Après la reprise en catastrophe de celle-ci par son ex-concurrente UBS le 19 mars dernier, vous vous demandez quoi faire de votre compte d’épargne, de vos dépôts, de vos hypothèques, de vos crédits et de vos leasings? Voici un état des lieux des risques auxquels les clients de Credit Suisse sont exposés dans l’immédiat et les moyens à leur disposition pour les mitiger, voire les éliminer.
Epargne
Une faillite ayant été évitée, les dépôts d’épargne ne risquent plus rien, jusqu’à nouvel avis. Désormais, ils dépendent de la solidité financière du nouvel ensemble UBS-CS. Cela dit, la concrétisation de la fusion entre les deux banques va prendre plusieurs mois.
Chaque banque doit couvrir la totalité des comptes d’épargne par des actifs à une hauteur de 125%. Cela signifie que pour un fr. déposé dans un compte d’épargne, la banque doit disposer de 1.25 fr. d’avoir, sous la forme de liquidités, de créances, d’immeubles, de titres, etc. Leur réalisation, en cas de faillite, prend néanmoins du temps, ce qui risque de ralentir le délai de remboursement.
Les comptes d’épargne sont garantis, jusqu’à 100 000 fr. par client ou communauté de clients (compte joint), et par banque. L’institution garante est Esisuisse, association commune aux banques. Celle-ci est financée par ces dernières et dispose d’un capital de 8 milliards de fr. A noter que ce système de double garantie n’a encore jamais été testé grandeur nature.
Le client peut déplacer les avoirs de son compte d’épargne dans une autre banque en quelques clics de souris, ou procéder à un retrait au bancomat. Attention néanmoins aux limites de retrait. Les comptes à terme, par exemple, ne permettent pas de retirer plus de quelques milliers de francs (voir les détails sur nos pages consacrées aux taux d’intérêt des comptes d’épargne: monargentmag.ch/services/taux-depargne).
Avoirs de prévoyance
Contrairement aux comptes d’épargne, les avoirs de prévoyance ne sont pas couverts par la garantie Esisuisse. Les comptes de libre passage et de troisième pilier ne sont donc pas remboursés par la garantie de dépôts en cas de faillite. Ils peuvent l’être si la valeur des actifs de la banque faillie est suffisante pour couvrir la valeur des dépôts. Dans le cas contraire, les avoirs des clients sont remboursés en proportion des actifs disponibles.
Au contraire des comptes d’épargne, il n’est pas possible de retirer un avoir de prévoyance. En revanche, il est possible de le transférer dans une autre banque. Condition à cela: disposer, ou ouvrir un compte dans une autre banque avant de procéder au transfert.
A noter que les avoirs de libre passage et de troisième pilier déposés auprès d’une fondation ouverte par la banque en faillite ne sont pas concernés par la faillite de cette dernière puisqu’une fondation est une institution à part.
Comptes de dépôt
Les dépôts ne sont pas non plus protégés par Esisuisse. Comme leur nom l’indique, les dépôts sont des titres (actions, obligations, créances comptables, dérivés, etc.) au nom du client et déposés auprès d’une banque. Ils ne sont donc pas inclus au bilan de la banque, et ne sont donc pas pris dans la masse en faillite en cas de défaillance bancaire.
En revanche, leur accès risque d’être rendu difficile en cas d’interruption des opérations bancaires. Le client peut néanmoins décider de transférer ses avoirs auprès d’une autre banque à la condition préalable de détenir, ou d’ouvrir, un compte de dépôt auprès du nouvel établissement.
Fonds de placement
La fortune des investisseurs déposée dans les fonds de placement n’est pas affectée par la faillite de la banque, car elle est gérée par une entité séparée, généralement une société d’investissement à capital variable (SICAV). Elle est donc restituée aux investisseurs. Cependant, la procédure risque de prendre un peu de temps, car elle doit être effectuée par le liquidateur de la banque, et obtenir l’accord de la Finma. La société qui exploite le fonds est prise dans la faillite si elle appartient à la banque.
Hypothèques
Les hypothèques – principal et intérêts – sont dues à la banque prêteuse. En cas de faillite, elles continuent d’être dues: le contrat de prêt fait partie des actifs inclus dans la masse en faillite, et donc susceptibles d’être repris par un acquéreur. Dans le meilleur des scénarios, ce dernier peut, à l’échéance du contrat de prêt, le renouveler comme on renouvellerait une hypothèque en temps normal. Dans le pire des scénarios, l’hypothèque doit être remboursée à l’échéance du contrat de prêt. C’est au débiteur, par conséquent, de trouver assez tôt une autre banque disposée à lui faire crédit pour assurer le renouvellement de son prêt.
Dettes commerciales
Les dettes commerciales suivent le même régime que les hypothèques: tant que le contrat est en vigueur, il doit être respecté par l’emprunteur (versement des intérêts, amortissements). Si le contrat est repris par la banque qui rachète la masse en faillite, il peut être renouvelé aux conditions de la banque repreneuse. Dans le cas contraire, le prêt doit être intégralement remboursé.
Leasings
Les contrats de leasing sont soumis aux mêmes règles que les hypothèques et les dettes commerciales: ils doivent être honorés jusqu’à l’échéance.
Actions Credit Suisse
Les actions Credit Suisse sont encore cotées et négociables en bourse, même si leur prix évolue désormais aux alentours du prix d’échange convenu avec celles d’UBS (22,48 actions Credit Suisse pour une action UBS). Les modalités précises de l’opération d’échange, de même que les délais de cette opération, doivent encore être annoncés.
Obligations Credit Suisse
Les obligations ordinaires émises par Credit Suisse seront honorées à l’échéance et leurs coupons sont payés aux dates prévues. Ces titres sont donc toujours cotés sans que leur valeur de marché n’ait véritablement souffert.
En revanche, les obligations dites «additional tier 1» (AT1) émises par Credit Suisse, qui ont servent à renforcer ses fonds propres, ont vu leur valeur ramenée à zéro par décision de la Finma le jour de la reprise de Credit Suisse par UBS, le 19 mars dernier. Leurs détenteurs ont par conséquent perdu l’intégralité de leur investissement. Le Département fédéral des finances (DFF) a confirmé avoir reçu deux plaintes en responsabilité de la part d’investisseurs. D’autres sont en cours de préparation en Suisse et à l’étranger. L’avocat genevois Carlo Lombardini a par ailleurs déposé un recours auprès du Tribunal administratif fédéral (TAF) contre la décision du Conseil fédéral de réduire la valeur des AT1 à zéro. Les investisseurs qui veulent saisir la justice pour la même raison, doivent engager leurs propres démarches.
Yves Genier
Plainte collective contre Credit Suisse: mode d’emploi
Un lecteur genevois avait investi quelque 1300 fr. dans des actions Credit Suisse. Suite au rachat de l’ex-grande banque par UBS, il a perdu l’essentiel de son investissement. Il a décidé de se joindre à l’une des deux plaintes collectives lancées aux Etats-Unis. «Je le fais surtout pour donner un grand coup de pied dans la fourmilière, pour forcer la finance à revenir à la banque de papa», affirme-t-il.
Les deux plaintes fonctionnent de la même manière. Pour s’y joindre, il suffit de remplir un formulaire sur internet – en anglais, voire, pour l’un des deux, en chinois - en donnant ses nom, prénom, adresse postale, décliner sa qualité (investisseur individuel ou représentant d’une entité), dire si l’on est employé de Credit Suisse ou non, et détailler le nombre de titres acquis et vendus avec les dates des transactions et leurs prix.
Les deux plaintes se basent sur le fait que Credit Suisse est aussi coté aux Etats-Unis et doit respecter la législation locale en matière d’information aux investisseurs. Or Axel Lehmann, président de la banque, avait affirmé en décembre dernier au quotidien britannique des affaires Financial Times et à l’agence financière Bloomberg que les sorties de fonds subies par la banque en octobre et novembre 2022 s’étaient arrêtées et même inversées. Il s’est avéré, lors de la publication des résultats financiers 2022 de la banque en février dernier, que cette affirmation était inexacte. A la suite de ces déclarations, le cours de l’action était remonté. La Finma a, du reste, ouvert une procédure contre la banque avant de vite la refermer. Ces plaintes n’ont donc rien à voir avec la reprise de Credit Suisse par UBS le 19 mars dernier.
Les deux plaintes
- La plainte collective déposée à New York par l’investisseur américain Patrick Calhoun via le cabinet d’avocats Pomerantz, dans la Grande Pomme, concerne les personnes et entités qui ont acquis des titres Credit Suisse entre le 1er décembre 2022 et le 17 février 2023. Les personnes intéressées à se joindre à cette action doivent se déclarer avant le 8 mai 2023, notamment sur le site ktmc.com/new-cases/credit-suisse-group-ag (plainte n° 23-cv-01297).
- La plainte collective déposée dans le New Jersey par l’investisseur américain Braden Turner via le cabinet d’avocats Rosen à Newark, aux portes de New York, concerne les personnes et entités qui ont acquis des titres Credit Suisse entre le 10 mars 2022 et le 15 mars 2023. Le lien vers le site est le suivant: rosenlegal.com/submit-form/?case_id=12359. Aucune date limite n’est mentionnée, mais il convient de se décider rapidement (plainte n° 23-cv-01476).
L’investisseur qui se joint à une plainte collective n’a rien à payer. Mais si la procédure aboutit à une condamnation de la banque à payer des indemnités, les cabinets d’avocats en gardent une partie substantielle pour eux-mêmes. Rosen explique, dans ses conditions générales, qu’elles s’élèvent «jusqu’à 33,33% des indemnités obtenues en jugement auxquelles s’ajoutent les dépens approuvés par la Cour».
Nombreuses questions encore ouvertes
Les clients de Credit Suisse adressent de nombreuses questions aussi bien à leur banque, à UBS et à notre rédaction. Comme la procédure de fusion prendra des mois, les clients devront sans doute s’armer de patience pour obtenir des renseignements précis. En attendant, UBS promet d’«informer régulièrement et de manière transparente».
- Le transfert des comptes (épargne, dépôts, prévoyance, etc.) sera-t-il automatique?
- Les conditions applicables aux actuels clients de Credit Suisse seront-elles modifiées?
- Si oui, comment?
- Les rémunérations des avoirs seront-elles diminuées ou augmentées?
- Les preneurs d’hypothèques devront-ils renégocier leur contrat?
- Les contrats hypothécaires en cours courront-ils jusqu’à leur échéance?
- Les détenteurs de fonds de placement verront-ils leurs conditions modifiées?
- Si oui, comment?
- Les frais de tenue de compte et d’hypothèque augmenteront-ils?
- Les clients devront-ils justifier leur identité et leur arrière-plan économique?