Avec le retour de l’inflation et la hausse des taux d’intérêt, les banques commerciales gagnent sur tous les tableaux. En revanche, les caisses publiques, les débiteurs et les déposants en sont pour leurs frais. Pourquoi? La Banque nationale suisse (BNS) tient une grande part de responsabilité. Mais elle n’est pas seule en cause.
Confrontée à une perte de 132 milliards de francs en 2022, la BNS a annoncé début janvier qu’elle ne verserait pas un sou à la Confédération et aux cantons au titre de la participation à ses bénéfices. Les années précédentes, les caisses publiques avaient reçu jusqu’à 6 milliards de francs, qui permettent à nombre de cantons, surtout les plus faibles économiquement, d’équilibrer leurs comptes.
Réserves épuisées
Parallèlement, la fin des taux négatifs en septembre dernier a permis à cette même BNS de rémunérer, pour la première fois de son histoire, les dépôts faits chez elles par les banques commerciales. Totalisant 540 milliards de francs, ces derniers perçoivent désormais des intérêts équivalents au taux directeur pour l’essentiel de ces derniers, et de 0,5% pour le solde. Fixé, depuis le 15 décembre dernier, à 1%, il permet à UBS, Credit Suisse et leurs plus de 200 concurrents de s’attendre à empocher la somme rondelette de 5 milliards cette année.
La BNS a justifié l’absence de distribution du bénéfice par le fait que la réserve ad hoc, qui se montait jusqu’alors à 102 milliards de francs, n’était pas suffisante pour assumer la perte de 131 milliards de francs de son gigantesque portefeuille en monnaies étrangères. Constitué ces dernières années pour limiter le renforcement du franc, ce dernier a subi la chute de valeur des actions et des obligations ainsi que de la hausse du franc. Le tout aboutissait à une perte au bilan de 39 milliards.
Les trois experts – dont Charles Wyplosz, ancien professeur d’économie à HEID – réunis autour du SNB Observatory, un groupe de réflexion indépendant, contestent cette explication: les 6 milliards de francs que la banque aurait versés aux caisses publiques n’auraient pas fait une grande différence: la BNS dispose encore de 66 milliards de francs.
En parallèle, la Banque nationale a expliqué que la rémunération des avoirs des banques commerciales déposés chez elle ne devait pas être considérée comme une «subvention» mais comme le moyen le plus efficace pour faire monter le niveau général des taux d’intérêt afin de mieux combattre l’inflation.
Les banques commerciales se sont empressées de hausser leurs taux d’intérêt créanciers: il y a un an, avant même tout relèvement du taux directeur de la BNS, elles doublaient les taux hypothécaires en l’espace de quelques semaines. En revanche, la rémunération des comptes d’épargne s’est à peine redressée. Les meilleures conditions pour un compte d’épargne ordinaire avoisinent 0,3%, nombre de banques offrant encore des taux à peine supérieurs à zéro. Tant que le renchérissement était négatif, de telles conditions permettaient aux épargnants de maintenir la valeur de leur épargne. La montée de l’inflation a réduit cette possibilité à néant: l’an dernier, le renchérissement a érodé des bas de laine de pratiquement 3%.
Les clients ne bougent pas
De plus, les banques commerciales ont à peine commencé à réduire les frais qu’elles facturent à leurs clients. Ces frais avaient fortement augmenté pendant la période des taux d’intérêt négatifs pour «contrer le recul persistant de leurs marges d’intérêt». L’été dernier, le Surveillant des prix a rétorqué qu’il «s’attendait à ce que les banques réduisent les frais facturés dès que la situation des taux d’intérêt se sera normalisée».
Or, selon l’économiste Adriel Jost, du bureau indépendant Wellershof à Zurich, «les banques profitent de l’inertie de leurs clients». Elles savent que presque personne ne prend la peine de changer de banque en raison de faibles différences de taux.
Gery Schwager / yg