«Sur le document que j’ai reçu de Swisslife pour ma retraite, le taux de conversion pour calculer ma rente en 2023 est de 6,2%,» s’étonne cette lectrice valaisanne. «Je croyais que les caisses de pension étaient obligées d’appliquer le taux de 6,8% jusqu’à l’entrée en vigueur de la réforme du 2e pilier. Est-ce légal?»
La question de la sexagénaire valaisanne est pertinente, parce que le taux de 6,8% fait toujours foi. Dans le sillage de la réforme de l’AVS, le Parlement a, certes, approuvé la réforme de la LPP pour le baisser (lire encadré), mais un référendum a été lancé. La population devra vraisemblablement se prononcer en automne 2023.
La pratique de Swisslife n’est pourtant pas isolée et les caisses de pension n’ont pas attendu la réforme pour baisser massivement les taux de conversion sur la part surobligatoire. Depuis l’an passé, les compagnies d’assurance ont franchi un pas symbolique. Elles basent déjà le calcul des rentes sur des taux inférieurs au fameux repère de 6,8% pour la partie obligatoire (lire encadré).
Le taux de 6,2% appliqué par Swisslife sur cette partie du capital est particulièrement bas. Pax a placé la barre à 6,5%. Elle est suivie par Allianz (6,4%) et Bâloise (6,29%). Helvetia met déjà en pratique le taux de 6% prévu par la réforme. Quant à la partie surobligatoire, elle est gratifiée, au mieux, d’un taux de conversion de 4,6%.
Financement croisé
Ces fondations collectives justifient cette pratique par une combinaison subtile entre les avoirs obligatoires et surobligatoires (voir tableau). Comme la rente servie sur les premiers affiche un taux inférieur au 6,8% prescrit par la loi, il faut puiser dans la cagnotte surobligatoire pour boucher le trou. Les assureurs comparent le résultat de ce calcul «maison» avec un «compte témoin». C’est le minimum légal imposé à toutes les institutions de prévoyance pour respecter le fameux taux de 6,8%.
Très élégant sur le papier, ce raisonnement est aussi parfaitement légal. «Il n’existe aucune obligation en ce qui concerne l’avoir de vieillesse surobligatoire, mais le taux de conversion doit pouvoir se justifier sur le plan actuariel», explique Patrizia Bickel, porte-parole de la Finma. «Il faut que l’assuré touche, au moins, le montant minimum prescrit pour la part obligatoire», renchérit Elisabeth Hostettler, porte-parole de l’Office fédéral des assurances sociales.
Le bénéfice pour l’assureur
L’assureur a donc toute liberté de prévoir un taux suffisamment bas pour couvrir ses coûts… et dégager un bénéfice. Dans l’exemple fourni par Swisslife, le calcul de l’assureur reste plus favorable à l’assuré que le compte témoin. Ce n’est guère étonnant, puisque celui-ci fait l’impasse sur la part surobligatoire (140 000 fr.), qui représente quand même le 40% de l’avoir de retraite! Le raisonnement reste en travers de la gorge de notre lectrice, puisqu’une bonne partie de ce qui a été versé, mois après mois, dans sa cagnotte échappe ainsi à tout contrôle.
Pax joue cartes table en précisant que, si on applique le taux de 6,8% à l’avoir obligatoire, le taux appliqué à la part surobligatoire sera alors divisé par deux, passant de 4,6% à 2,3%. En résumé, quelle que soit la répartition des avoirs accumulés pendant toute une vie professionnelle, c’est l’assureur qui ressort gagnant.
A noter que les caisses de pension appliquent généralement un taux dit «enveloppant» sur tout l’avoir, sans dévoiler leur cuisine interne. Il est en moyenne de 5,43% aujourd’hui, ce qui correspond grosso modo au calcul appliqué par Swisslife dans l’exemple. La règle étant, là aussi, de servir au minimum une rente correspondant à un taux de 6,8% sur la part obligatoire.
Claire Houriet Rime
En toile de fond
- Obligatoire: c’est la partie du capital qui obéit aux exigences légales de la Loi sur la prévoyance professionnelle (LPP). Cela concerne la part du salaire assurée (entre le seuil d’accès qui est actuellement de 22 050 fr. et le montant limite supérieur (88 200 fr.), les pourcentages des cotisations ou l’âge de cotiser. La gestion de cette cagnotte est réglée par la LPP qui fixe des minima, notamment pour le taux de conversion pour le calcul de la rente.
- Surobligatoire: c’est la partie du capital qui a été constituée en plus des exigences légales et que les caisses sont libres de gérer selon leurs critères. Ici, pas de taux de conversion minimal pour le calcul de la rente. A noter qu’on peut aussi disposer d’un avoir surobligatoire avec un salaire modeste. C’est le cas, notamment, si les cotisations ou le rendement annuel sur l’avoir LPP dépasse les exigences minimales légales.
- Taux de conversion: il permet de calculer la rente à partir du capital de retraite. Le minimum légal sur la part obligatoire est de 6,8%, ce qui représente une rente annuelle de 6800 fr. par tranche de capital de 100 000 fr. Lors de sa session de mars, le Parlement a décidé, entre autres, de le baisser à 6%, et un référendum a été lancé. La réforme sera vraisemblablement soumise au vote en septembre 2023. Son acceptation entraînerait des baisses de taux, et donc de rentes, importantes, puisque le fameux «compte témoin» servira une rente plus modeste.