Un lecteur romand s’agace: «Je suis agriculteur et j’ai investi dans les cryptomonnaies. Je viens de recevoir mon avis de taxation 2021. Mes revenus en cryptomonnaies sont imposés comme une activité indépendante, et l’exploitation agricole comme activité secondaire. Or, je ne m’amuse pas à travailler sept jours sur sept dès 5 heures du matin pour exercer une activité secondaire.» En conséquence de cette décision, il devra s’acquitter d’impôts nettement plus élevés.
Les chiffres de ce contribuable, qui se dit «sous le choc», parlent d’eux-mêmes. Son exploitation agricole lui a permis de déclarer en 2021 un revenu de 140 000 fr. Et celle de son activité de négoce, 460 000 fr., un montant établi à partir d’une estimation faite par un fiscaliste. «En 2021, j’ai eu passablement de gains», reconnaît-il. Le fisc, pour sa part, a déterminé que le total de ses revenus tirés du négoce s’est monté cette année-là à 800 000 fr.
Gestion privée ou professionnelle
L’écart conséquent entre le revenu de la ferme et celui du trading explique pour bonne part la décision du fisc. Ce dernier estime en effet qu’au-delà d’une certaine proportion, les gains tirés du négoce de titres ne peuvent plus être assimilés à une simple gestion de la fortune privée, mais tombent sous le qualificatif d’activité principale. Or, cette distinction a une incidence fondamentale sur la logique de taxation.
Tant que le fisc la considère comme accessoire, la gestion d’un bas de laine personnel n’engendre pas d’imposition sur les gains en capital. Cela signifie que les plus-values des placements dans des cryptomonnaies sont nettes d’impôts comme le sont les plus-values des placements en actions ou tout autre titre.
En revanche, lorsque l’autorité fiscale considère la gestion comme activité principale, elle la taxe comme telle: elle considère les plus-values comme des revenus, au même titre que les rendements des placements. La somme soumise à l’impôt sur le revenu s’en trouve fortement accrue. Avec une autre conséquence: le taux marginal d’imposition s’en trouve aussi beaucoup plus élevé. Enfin, comme pour les autres revenus d’activités indépendantes, l’ensemble est encore soumis à la cotisation AVS, qui est de 10% pour tout revenu supérieur à 58 800 fr. par an.
Jurisprudence fournie
La distinction entre le privé et le professionnel a été consignée dans deux textes administratifs: une circulaire de l’Administration fédérale des contributions de 2012 sur «le commerce professionnel de titres» (circulaire numéro 36), dont la pratique a été précisée par un document de travail de cette même AFC daté du 14 décembre 2021 sur la taxation des cryptoactifs. De plus, le fisc s’appuie sur une jurisprudence fournie.
Qu’ils soient taxés comme privés ou professionnels, les revenus tirés du négoce de notre lecteur en 2022 seront nettement moins taxés. Il a, cette année-là, subi une perte de 50 000 fr., selon les comptes établis par son fiscaliste. «Si je calcule comme les impôts, j’ai une perte de 300 000 fr.», ajoute-t-il. En attendant, il a déposé un recours afin de requalifier ses gains de 2021 en gestion privée et non pas professionnelle.
Yves Genier
Les critères du fisc
Pour décider si le négoce peut être vu comme une activité accessoire ou doit être considéré comme une activité principale, l’autorité se fonde sur trois critères principaux, qui n’ont pas besoin d’être cumulés:
- Les transactions sont fréquentes, les actifs conservés peu de temps.
La transaction peut même être unique.
- Le recours à l’emprunt est important et les intérêts passifs ajoutés aux frais ne peuvent être couverts que par le revenu résultant de la vente des actifs.
- L’usage de dérivés est systématique et va au-delà des besoins de protection.
A cela s’ajoutent deux critères secondaires:
- La recherche systématique du profit par le biais des plus-values.
- Le contribuable utilise des connaissances spécifiques, son métier peut avoir des liens avec son activité de négoce.
- Le fait que l’on opère ses transactions soi-même ou par l’intermédiaire d’une banque ou d’un spécialiste n’est pas jugé important par le fisc.
En revanche, pour être certain de ne pas être qualifié de professionnel, l’ensemble des critères suivants doit être respecté.
- Les actifs doivent être détenus pendant six mois au moins.
- Le volume des transactions en cours d’année ne doit pas dépasser le quintuple de l’avoir en début d’année.
- Les gains en capitaux ne doivent pas dépasser 50% du total des revenus.
- Les gains en capitaux doivent être supérieurs aux intérêts passifs.
- Les dérivés ne doivent servir qu’à des fins de couverture.